Les Délaissés. Dans ce recueil de nouvelles gentillement offert par les éditions L'Oiseau parleur dans le cadre d'une Masse critique,
Fabrice Schurmans se glisse dans la peau des laissés pour compte de la société. Mais en donnant une voix à l'enfant dyslexique, au prisonnier, à la femme violée, aux ouvriers saisonniers, au migrant errant, au mari distrait et trompé, l'auteur offre au lecteur des rencontres, des présences que souvent l'on est gêné de voir, qu'on évite, qu'on délaisse de notre attention. D'ailleurs, le professeur d'université dans la dernière nouvelle "L'homme qui regardait passer les drames" nous renvoie vers cette situation où l'on n'ose, par crainte, intervenir face à une injustice, une violence dont on est témoin. Ces situations, ces humanités invisibilisées, et
Fabrice Schurmans nous le rappelle dans "Le monde en une ligne", on les rencontre au pas de notre porte, ou dans la ligne de bus ou de métro que l'on emprunte quotidiennement.
Quatre nouvelles ne s'inscrivent pas directement dans notre siècle, ou dans notre environnement proche, mais font vivre des oubliés qui pourraient avoir des frères ou soeurs contemporains.
Il y a l'enfant esclave qui évoque les esprits, alors qu'il est enfermé dans la cale d'un bateau négrier, mais il pourrait tout aussi bien s'agir d'un enfant qui avec sa mère subit une traversée maritime dangereuse organisée par des passeurs sans scrupules.
Dans "Mélodie pour un coup de blues", nouvelle qui comme la précédente est influéncée par l'univers des contes, un soldat traumatisé par la guerre d'Afghanistan, peut grâce à la musique et à l'amour d'une "princesse" délivrée, espérer un avenir.
Mes deux nouvelles préférées enfin "Toi qui pâlissais au nom de Lucia Rios", histoire d'une nuit d'amour qui comme une parenthèse marque Fernando, engagé volontaire qui rejoint en train un front de la guerre d'Espagne. Et "Une semaine de folie" où l'on se retrouve à la place de
Nellie Bly, journaliste d'immersion américaine, qui à la fin du 19e siècle s'est infiltrée pendant
10 jours dans un asile de fous pour femmes, et qui dénonce les conditions d'internement terribles subies.
Une écriture fluide, des personnages qui retiennent l'attention, une lecture découverte avec plaisir. Si le sort de nombre des personnages est sombre, l'espoir n'est pas absent pour certains des délaissés de Schurmans qui ont la chance de rencontrer une personne compréhensive ou aimante.