Un livre indispensable à lire avant de se rendre à Jérusalem ET à relire au retour. Il permet de se questionner, de déconstruire les représentations, de questionner ce que l'on a pu voir sur place.
Indispensable et passionnant!
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Qui parle de Jérusalem, qui écrit sur Jérusalem, qui marche dans les rues de Jérusalem, sait qu’il lui faut renoncer à distinguer de façon catégorique la part de fiction mythologique et la part de vérité historique. Impossible, à propos de Jérusalem, de se résoudre à une seule version des faits, impossible de toucher du doigt une réalité qui serait totalement débarrassée de sa gangue de légendes. La dichotomie biblique entre une Jérusalem terrestre et une Jérusalem céleste est à l’origine d’une situation paradoxale et mortifère : en aucun lieu de la terre l’imaginaire et le réel ne sont à ce point imbriqués que dans les pierres de la Ville sainte. En aucun lieu de la terre, l’imagination humaine n’a nourri et envenimé à ce point le réel, et nulle part l’enchaînement des faits n’a bafoué avec une telle violence les promesses de l’imaginaire. Si la ville existe au ciel et sur terre, tout se passe comme si cette double existence avait un prix et tout indique que les hommes n’ont pas fini de verser ce trop lourd tribut exigé par un Dieu jaloux de devoir partager son berceau. La glorification de la Jérusalem céleste s’est toujours faite au détriment des habitants de la Jérusalem terrestre : leur histoire n’est qu’une longue suite de sièges, d’exils, de carnages et leur situation actuelle, au regard de cette histoire tragique, pourrait passer pour un moment de répit s’il n’y avait chaque jour des indices qui nous font craindre le pire pour les années à venir.
C’est en retournant me baigner que je comprends : la mer et le soleil n’appartiennent à personne, ni aux Palestiniens, ni aux Israéliens, ni aux Juifs, ni aux Arabes, or c’est ce pays que je voudrais adopter : la mer allée avec le soleil. J’ai horreur de l’expression citoyen du monde utilisée à tout bout de champ pour parler des grands voyageurs – car elle suppose, primo que le monde existe, et secundo que nous pouvons l’embrasser dans son ensemble et sans embûches, bref elle pue l’humanisme nigaud des mondialisateurs sans frontières. Mais pourquoi ne pas se considérer, plus modestement, comme frère du soleil, frère de la mer, frère des dunes et des nuages ? Je comprends soudain Romain Gary, le moins franchouillard mais le plus chauvin de nos écrivains, qui se moquait volontiers de ses lecteurs en racontant comment il avait inventé de toutes pièces sa promesse de l’aube mais qui n’aurait jamais troqué sa vraie mère juive et son passeport trafiqué contre un permis de voter et de verser son sang délivré par des rabbins sourcilleux : si sa grande trilogie romanesque s’intitule Frère Océan, ce n’est pas pour les chiens.
En quittant la plage au coucher du soleil, lequel a suspendu tous les gestes et stoppé les joggeurs – arrêt sur image dans le film Israël -, je pense aux enfants qui ne peuvent plus voir la mer pourtant si proche ; je pense aux enfants de Kalkilya, de Tulkarem, de Qibiya, qui n’ont plus d’autre horizon que la grande muraille de béton.
Chez les Israéliens, la mémoire morte occulte la mémoire vive ; chez les Palestiniens, c’est la mémoire vive qui refoule la mémoire morte. Il faudra un jour apprendre à renoncer au rêve du retour, d’un côté comme de l’autre. Abroger la loi du retour israélienne et abandonner le droit au retour palestinien. Ce qui veut dire aussi renoncer au mythe de l’autochtonie. Et ne plus lire la Bible comme un témoignage historique mais comme une leçon destinée aux générations futures pour comprendre et interpréter leur présent.
Ce livre n’est pas un roman ni un récit de voyage. C’est un témoignage ou un reportage ; c’est un journal de débord ou un carnet de déroute ; c’est le journal d’un géographe défroqué que la géographie rattrape dans son apostasie ; c’est une suite de réflexions où la littérature n’entre que par effraction ; c’est le contraire d’un itinéraire de Paris à Jérusalem.
En quittant la plage au coucher du soleil, (...) je pense aux enfants qui ne peuvent plus voir la mer pourtant si proche ; je pense aux enfants de Kalkilya, de Tulkarem, de Qibiya, qui n'ont plus d'autre horizon que la grande muraille de béton.
Quand les livres nous parlent de la Russie et de l'Ukraine, entre guerre et paix : Giuliano da Empoli, qui publie "Le Mage du Kremlin", et Emmanuel Ruben, qui co-dirige le livre collectif "Hommage à l'Ukraine", sont les invités d'Olivia Gesbert.
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