Dans une Grande Bibliothèque qui n'est plus fréquentée que par des chercheurs et des candidats au suicide, Simon Kaas, une vingtaine d'années, effectue, comme ses collègues travaillant pour Spartacus Analytics, un curieux boulot : « Notre royaume à nous, c'est la fake-news. Un merveilleux pays où tout est permis. Mentir, calomnier, espionner, pirater, bidonner des vidéos et jouer les maitres chanteurs » (p. 28), voilà à quoi ces trolls occupent leurs journées. le
Palimpseste de Simon Kaas, c'est le livre d'un archéologue, Serge Vartanian, son propre père : le
Camp nomade de Saliers 1942-1944, un ouvrage que son employeur veut qu'il retrouve, qu'il lise et qu'il discrédite. Mais Simon écrit sa propre histoire, à l'encre rouge, entre les lignes du livre de son père. Il raconte son enfance et son présent : la relation avec sa mère, actrice de second plan avant de devenir brièvement l'idole du pays grâce au rôle de flic qu'elle joue dans une série ultra-violente ; son père, passionné par son travail, acharné à prouver l'existence du camp, qui disparaît dans la nature alors que Simon est encore un enfant ; Audrey, sa supérieure au boulot, qu'il juge sublime et qui le subjugue ; M. Cathrine, son prof d'histoire charismatique, séduisant, mais ambitieux, retors et haineux, ne reculant pas devant une dénonciation calomnieuse ; une bibliothécaire curieuse, empathique et bienveillante ; quelques autres personnages encore, et aussi l'ombre inquiétante de « la Petite fiancée de la Nation », la blonde Valentine Peirera, experte en manipulation, cheffe du parti Vox Populi, en campagne pour sa réélection à la présidence…
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Le texte du roman est dense, mais Simon en donne rapidement l'explication à son lecteur qu'il interpelle fréquemment : le papier est rare. Il écrit donc ses pattes de mouche bien serrées, entre les lignes de son père, « sans blanc ni alinéa », en économisant le plus possible la place : « Désolé, lecteur. Pas le choix » (p. 22). Quand il veut marquer un chapitre, il laisse libres quelques interlignes. le lecteur a alors accès au texte du livre du père dans une typographie différente. Certaines précisions grammaticales ou des définitions du dictionnaire sont présentées en italique. J'ai beaucoup aimé le choix des définitions : le mot défini ne figure pas dans le texte et c'est au lecteur de suivre le raisonnement de Simon, de comprendre ce qui l'a amené à vouloir préciser le sens de ce mot particulier. Tout l'amour et le respect que l'auteur porte à la littérature est perceptible dès les dix premières lignes comme dans les nombreuses allusions à certains auteurs, au personnage de la bibliothécaire, et dans l'ironie contenue dans deux des noms propres : l'entreprise de fake-news porte le nom de Spartacus et le dealer/passeur s'appelle Caron...
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Ce roman dystopique répond aux différents sens du mot
Palimpseste dont l'auteur a placé la définition en exergue. Il faut toujours garder à l'esprit le deuxième sens figuré, et la citation de Hugo qui l'illustre magnifiquement. Dans la brève entrevue que l'on trouve sur Babelio,
Alexis Ragougneau précise (je cite de mémoire) que ce roman se déroule vers 2030 et que le personnage principal de son livre, c'est
L Histoire avec un grand H. L'élection d'une présidente d'extrême droite et d'autres glissements nous entraînent vers un monde qui ressemble furieusement à celui de 1984 par la réécriture de l'histoire, entre autres, et vers Fahrenheit 451 par la confiscation des livres. Un monde qui ressemble aussi beaucoup au nôtre (les dérives des réseaux sociaux, la montée des extrêmes-droites dans plusieurs pays d'Europe, le complotisme, le révisionnisme, etc.) et qui peut nous faire redouter un futur effrayant. Je n'ai pas ressenti le même coup de coeur que pour
Opus 77, mais j'ai beaucoup aimé ce roman, bien que Simon ne soit pas un personnage sympathique. L'honnêteté de son introspection, l'aveu de ses faiblesses, la reconnaissance de sa trahison le rendent touchant, comme cette forme de naïveté qui ne le quitte pas : il a 20 ans !