"Comme ils étaient terribles et laids, ces visages, à la lumière des torches."
Le 17 août 1893, dans les marais salants d'Aigues-Mortes, couve la haine. Elle a le goût du sel. Bientôt elle aura la couleur du sang.
Les conditions de travail sont rudes, les salaires misérables pour les ouvriers français et les saisonniers italiens. Les patrons profitent de cette rivalité pour rendre ce travail du sel encore plus inhumain, encore plus intolérable ; un travail d'esclave où les corps s'assèchent, où les esprits s'échauffent. le sel mord la peau, assèche les gorges, brûle les paupières sous le soleil de plomb. le vin enflamme, abreuve la haine qui s'infiltre dans les crevasses des corps saouls de fatigue et d'injustice, excite les bagarres.
Les dessins et les tons rouges et ocres rendent bien cette furie collective, cette étincelle qui a mis le feu à la poudre, aux poings et à tout ce que l'homme recèle de plus vil.
La faute de l'autre, la pauvreté, la xénophobie, "la fierté d'être français" hurlée dans des discours nationalistes, la fourberie des riches patrons de la Compagnie des Salins du Midi entraîneront cette tragédie du travail, ce massacre qui laissera une trace sanglante dans l'histoire française.
Un fait réel que je ne connaissais pas et qui résonne hélas dans notre actualité. L'homme ne change pas, il répète toujours la même histoire.
Pas De réseaux sociaux à cette époque, pourtant les mensonges enflaient de même comme une vague dévastatrice, gorgée
de sel et de sang, s'abattant sur la raison des hommes comme un tsunami de démence.
Cette BD est intéressante car, elle offre dans ses dernières pages les détails sur les faits historiques de ce massacre d'Aigues-Mortes et du simulacre de procès qui lui a succédé, ayant failli faire basculer la France et l'Italie dans la tragédie de la guerre.
"Ce jour-là, j'ai compris que la vilénie était la chose la mieux partagée au monde et qu'il en fallait bien peu pour que se craquelle le vernis dont on recouvre nos bas instincts."
Je remercie Babelio et les Éditions Les Arènes pour cette BD puissante en images et en mots. Des images et des mots comme des grains de sel et des gouttes de sang se fondant sous le soleil du Midi.