C'était donc de la porcelaine
Fine et lisse et au motif délicat, aux traits méticuleux.
Et nous songerons aux thés, à une mode indécise ;
Une feuille, saisie haletante dans l'air ;
Nous songerons donc à elle,
Aux fines nervures délicatement tracées dans l'air,
Et aux murs déclinant avec grâce jusqu'aux haies.
Nous songerons à elle, aux thés et au rire de porcelaine,
Comme une chose infime aux bords très fins,
Pour le repos, peut-être,
Etrange, mais suspendue dans une dignité de porcelaine
Elle tombera, tombera
Une minuscule, pitoyable poignée
De poussière vaguement teintée de rose.
Nous menons nos vies réelles
en rêve, disait quelqu'un signifiant par là
puisqu'il était éveillé
que nous sommes cloîtrés en nous-mêmes
Ce n'est pas de cela qu'il rêvait
dans chaque rêve
Il rêvait l'étrange matin
d'un oiseau qui s'éveille
Une femme, disait Diane
Une femme, disait Diane, parlant avec sagesse
Laissera le bateau dériver
Au soleil sous la brise
Laissera le bateau dériver
Un homme saisira une rame.
Peut-être le fera-t-il
N'importe quel gourdin fera l'affaire
Pour abattre le père
/ traduit de l'anglais (américain) par Yves di Manno
ANIMULA animula blandula vagula
Hasard, hasard et donc lueur des étoiles
Tout ce qui devait être pensé
Oui
Passe par les routes l’air des fronts de mer l’air noir
Au-dessus du bollard en fer les portes défoncées
Sous le ciel étoilé les choses, les choses poursuivent
Leur narration leur longue instruction et la marée montante
Aussi puissante que le sillage d’un remorqueur les danses
Fracturées des lumières de la rive sur l’eau agitée une musique
Qui le croirait
N’appartenant pas à soi
Toujours avec soi le vers noir le tour et le tour
Dans le viseur le bassin de cristal non navigable
Le torrent tourmente la vallée
Engloutie d’Eden les drames
Des eaux draguées
Le vent qui balaie tout
Jusqu’à la mer tardifs les temps de sel s’accrochent
En spirales
Affolées au flanc de la coque les traînées de la mer flottent
Incurvées sur la mer petite âme errante et douce
Terrifiée
En plein océan infime la
Lune éclaire les treuils
ANIMULA animula blandula vagula
Chance and chance and thereby starlit
All that was to be to thought
Yes
Comes down the road Air of the waterfronts black air
Over the iron bollard the doors cracked
In the starlight things continue
Narrative their long instruction and the tide running
Strong as a tug’s wake shorelights’
Fractured dances across rough water a music
Who would believe it
Not quite one’s own
With one always the black verse the turn and the turn
At the lens’ focus the crystal pool innavigable
Torrent torment Eden’s
Flooded valley dramas
Of dredged waters
A wind blowing out
And out to sea the late the salt times cling
In panicked
Spirals at the hull’s side sea’s streaks floating
Curved on the sea little pleasant soul wandering
Frightened
The small mid-ocean
Moon lights the winches
Désastres
des guerres ô vent
de l’ouest et tornade
de la politique je suis las de la vanité
des poètes légistes
d’un monde
inavoué il est triste d’avoir
une ascendance
et d’être un étranger comment
pourrions-nous avoir une ascendance
étant devenus étrangers dans ce vent qui
se lève comme un don
dans le désordre les tempêtes
de la vanité poétique si notre histoire doit prendre fin
sans avoir été dite de qui et
de quoi avons-nous hérité nous voulions savoir
si nous étions bons à quelque chose
ici-bas le chant
tourne le vent a balayé le sable
et nous sommes seuls la mer se lève
dans le verset du soleil le rude
cristal de la plage les sables aux
confins éblouissant sous la proche et non moins
brutale empreinte des pas parcours
dans la lumière
le vent
le feu l’eau l’air les cinq
éléments lumineux
merveille
de l’évidence merveille
du caché cela fait-il du reste
la moindre différence danse
des ailes de la guêpe comme
des langues mères mais peuvent-elles
lourdes de tous leurs sens
danser ? O
O je vois mon amour je la vois s’avancer
seule sur la glace je me
vois Sarah Sarah je vois la tente
dans le désert de ma vie
s’amoindrit ma vie
est autre je le
vois dans le désert je le
regarde il est malhabile
et seul mon jeune
frère ma sœur
perdue sa voix
infime au sein du peuple les terribles
collines de sel que les armées
ont traversées et les cavernes
du peuple
caché.
Avec Dara Barnat, Norman Finkelstein, Stephen Fredman, Andrea Inglese, Jena Osman, Ariel Reznikoff, Sarug Sarano, Carlos Soto Roman, Mark Scroggins & Frank Smith
Rencontre animée par Xavier Kalck, Fiona McMahon & Naomi Toth
J'aime cette promenade secrète
dans le brouillard ;
ni vu ni entendu,
au milieu des buissons
couverts de gouttes ;
le sentier solide et invisible
à cinq ou six mètres —
et seul l'étroit présent est vivant.
Charles Reznikoff, Going To and Fro and Walking Up and Down, Futuro Press, 1941 – Inscriptions: 1944-1956, 1959.
Charles Reznikoff (1894-1976), poète américain considéré comme l'une des figures du mouvement « objectiviste », avec George Oppen, Lorine Niedecker, Carl Rakosi et Louis Zukofsky, est resté largement inconnu de son vivant, mais son héritage est revendiqué aujourd'hui par nombre de poètes dans la poésie expérimentale contemporaine. Pour la Maison de la Poésie, nous nous réunissons autant pour lire Reznikoff que pour faire entendre les résonances que son oeuvre continue à produire aussi bien dans l'aire anglophone que francophone et hispanophone.
En savoir plus – colloque international, « Charles Reznikoff : Inscriptions (1894-1976) », Université Paris Nanterre,du 1er au 3 juin 2023.
« Nos rencontres ont été si brèves
qu'il vaudrait mieux les appeler séparations,
et de toutes nos paroles
je me souviens surtout des “au revoir” »
La Jérusalem d'or, Charles Reznikoff
À lire – Charles Reznikoff, Inscriptions, précédé de Ça et là, trad. de l'anglais (États-Unis) par Thierry Gillyboeuf, éd. Nous, 2018.
Publications en anglais : Going To and Fro and Walking Up and Down, 1941 – Inscriptions : 1944-1956, 1959.
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