Pas d'autre clé que celle de la poésie. Si les lignes et les formes riment c'est à l'instar d'un poème. (p. 107)
Pablo Picasso
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Il est bien vrai que dans l’obscurité je peux prendre un bleu pour un vert, un lilas bleu pour un lilas rose puisqu’on ne distingue pas bien la qualité du ton. Mais c’est le seul moyen de sortir de la nuit noire conventionnelle avec une pauvre lumière blafarde et blanchâtre, alors que pourtant une simple bougie nous donne les jaunes, les orangés les plus riches.
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[La Nuit étoilée de Vincent Van Gogh]
sans la faiblesse des yeux nous verrions d'autres soleils
En réalité, Vincent était pleinement conscient de ce qu'il faisait - ses lettres témoignent de sa lucidité entre les crises. En toute probabilité, il a réellement vu l'inoubliable et rare alignement des trois astres à la date susmentionnée, au Soleil couchant, et l'a mémorisé. Son tableau est donc une fois encore une composition d'atelier. Élément central et primordial :le cyprès, lien unitaire entre terre et ciel. Puis, le croissant de Lune, toujours planté à droite et orienté vers le coucher de Soleil, comme dans les quatre autres tableaux qui le représentent, cette fois en lien étroit avec le cyprès, l'effleurant du bout de ses cornes. Mettre à partir de là les deux autres astres à sa droite, comme dans la réalité ? Impossible, évidemment. Ne reste plus donc qu'à les placer à gauche. Et là, pour l'équilibre à nouveau impératif de la composition, c'est Vénus qui doit être proche du cyprès, en symétrie avec la Lune, et Mercure éloignée, d'où le miroir.
Le tableau final n'est qu'un résultat du processus de composition, et non un moteur premier. Van Gogh n'a obéi qu'à l'impératif formel de la toile. Il peint selon une trame réelle, dont il sait s'écarter quand son intuition artistique le lui indique.
[...] contrairement à un cliché tenace faisant de Van Gogh un obsessionnel poussé par son instinct à reproduire ce qu'il voyait aussi vite qu'il l'avait vu, les scènes vespérales et nocturnes de l'artiste sont en réalité des constructions d'atelier très élaborées, faisant également appel à son vaste savoir littéraire.
"C'est jaune d'ocre sourd et violet."
(Lettre [790] à son frère Théo)
"La Nuit étoilée" est une peinture composite et en partie imaginaire, à l'instar d'une figure de rêve [...]
Le tableau final n'est qu'un résultat du processus de composition, et non un moteur premier.
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En ce sens, cette œuvre* rejoint bien la définition donnée par Delacroix au salon de 1846 : "Un tableau est une machine dont tous les systèmes sont intelligibles pour un œil exercé."
*"Route avec cyprès et ciel étoilé"
Le village de Van Gogh n'existe pas. Ou plutôt il est une recomposition faite d'après mémoire de certains villages hollandais, une réminiscence de son pays natal.