Le 23 août 1941, le peintre Max Ludwig Nansen est frappé par l'interdiction totale de peindre, son amitié avec le brigadier Jens Ole Jepsen, vole en éclats, son ami est chargé de faire appliquer la loi. Siggi devient le complice des deux hommes, le père lui fait promettre de l'aider à pincer Max, le peintre lui confie des toiles pour les cacher.
De ce huis clos naît une oeuvre bouleversante de puissance et de beauté, juste à la frontière avec le Danemark, n'y passe que le vent, et un étrange manteau bleu.
Le peintre Max Ludwig Nansen
"Je voulais qu‘au travers de moi comme peintre, les couleurs se déploient sur la toile, comme la nature les avait créées,"
Emil Nolde se définissait comme l'homme du nord, l'homme des tempêtes des couleurs, et du poids de l'obscur.
Emil Nolde ce très grand artiste sert de modèle à
Siegfried Lenz, pour porter le destin de Max Ludwig Nansen.
Le lecteur sera fasciné par lumière translucide qui émane des peintures de Max, comme une annonce des tableaux transparents, invisibles par la magie de l'eau, se déjouant de la stupidité de son interdiction.
Max Ludwig Nansen, déploie les paysages éphémères et les ressauts du vent dans une profusion de couleurs, " le papier s'égouttait... en filaments de lumière rouges, jaunes sulfureux ; de sombres lueurs fleurissaient les crêtes des vagues.p408"
Ce peintre, et sa peinture sont l'essence même du livre, les paysages du nord sont tout au long du texte transfigurés par des descriptions fulgurantes, d'une poésie incandescente.
la tragédie mise en scène dans
la Leçon d'Allemand, commence avec l'interdiction faite à Max de peindre, la confiscation de ses toiles, son point d'orgue.
Le jeune Siggi Jespen
Le jeune Siggi, cloîtré sur une île avec d'autres adolescents, purge une peine, la punition du jour, expliquer « les joies du devoir ».
Siegfried Lenz, s'efface pour laisser le lecteur avec Siggi Jespen et sa Leçon d'Allemand. La page laissée blanche, interroge les psychologues ; ce sont les premiers prémices du syndrome Jespen car tout son comportement intrigue chez ce jeune, si différent des autres de la maison de correction.
"Rassemblant alors toutes mes forces, je déblayais pour ainsi dire les ornières qui sillonnaient la plaine de ma mémoire et en retirais toutes les scories pour ne garder de ce bric-à-brac que l'essentiel,
c'est-à-dire mon père et les joies du devoir". " Mon père, l'Éternel exécutant, le scrupuleux exécuteur."
Patiemment, au fil des jours, le bientôt tout jeune adulte, Siggi raconte par le menu, en 570 pages serrées, son enfance entre ces deux hommes. Ses espoirs et ses souffrances, basculant de l'affection de l'un, au respect de sa filiation, avant de prendre le chemin de la liberté.
Je crains ses silences plein de sous-entendus son mutisme solennel, je le hais aussi, je regarde ses gestes vagues,
je crains oui, je crains cette habitude que nous avons de nous pencher sur nous-mêmes et de renoncer aux mots.
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Très tôt on comprend qu'il a pris le parti du peintre, déjouant les pièges tendus par son père, le ridiculisant quand il repeint sans queue ni tête des fragments d'aquarelles. Il soigne ses cachettes comme des repères, gardant avec lui les clés, les clés de son destin comme les clés de ses secrets.
Omniprésent, surveillant, mais pour son propre compte, il sait mentir se moquer rendre ce père ridicule, risible dans son ardeur à obéir, "oui un homme utile doit savoir obéir".
Jens Ole Jepsen
le père de Siggi sera l'unique lauréat des joies du devoir, oscarisé par witwit (petit nom de Siggi que lui donne le peintre), il ramasse par brassées toutes les fleurs du devoir au point d'y sacrifier toute sa famille.
Au delà des hostilités, il ne désarme pas. Il sera seul, peut être, mais ne lâchera rien. L'épisode de la milice est savoureux, comme un point de non retour à sa hantise, son obsession, détruire l'oeuvre d'un dégénéré !
Il brûlera des carnets, des esquisses, des toiles invisibles...
Il livrera Klass son fils, il brûlera le vieux moulin, il dénoncera sa fille exigeant qu'elle brûle la toile où elle danse sur des vagues. Il découvre que ses enfants posaient pour le peintre !.
Sa femme souffla alors à Jens, fixant la raie impeccable de mon père et, comme de juste, elle dit: "parfois je pense que Max devrait se réjouir de cette interdiction.
Quand on voit le genre humanité qu'il peint: ces visages verts, ces yeux mongols, ces corps difformes, toutes ces choses qui viennent d'ailleurs: on sent qu'il est malade. Un visage allemand, on n'en rencontre pas chez lui.
Mais à l'étranger, il est très connu, dit mon père on l'apprécie beaucoup. Parce qu'ils sont eux-mêmes malades, dit ma mère; c'est pour ça qu'ils s'entourent de personnages malades."
Il remplissait sa mission, il pédalait sur cette voie sans issue qui ne le menait jamais qu'à Bleekenwarf, d'éternité en éternité, AMEN.
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la richesse de ce roman est sans aucun doute, ses multiples réflexions, ses interrogations, sur le sens qu'il faut donner à la vie, Siggi dépassera ses lubies, le père en dénonçant ses enfants a créé une rupture, que Klass incarne.
Il y aurait tant à dire.
C'est un merveilleux récit, comme Lionnel Duroy on aimerait longer cette voie sans issue, où l'imagination trace des chemins infinis, où les mouettes vous font des lits de plumes et les engoulevents jouent avec la course des vagues.
Un chef d'oeuvre qu'on laisse à regret, avant de replonger dans les couleurs.