"Sur un bateau, il y a 26 moutons et 10 chèvres ; quel est l'âge du capitaine ?"
La question est étrange. Qu'est-ce que l'âge du capitaine peut bien avoir à faire avec un nombre de moutons et de chèvres ? Sur près de deux cents élèves de sept à huit ans interrogés, ils sont pourtant 75% à apporter une réponse sans exprimer de doute. Beaucoup font une addition et obtiennent 36. Mais lorsque le même test est proposé à des enfants âgés de neuf à dix ans, la plupart se mettent à protester, voire à refuser de répondre. Seuls 20% répondent sans réserve. En deux ans, leur esprit critique s'est affiné.
Les mathématiciens ont développé de nombreux outils de navigation, parmi lesquels on trouve deux boussoles. La première se nomme "utilité" et la seconde "élégance". L'utilité nous conduit à la création de mondes abstraits qui collent le mieux possible au réel, afin que les recherches qui y seront menées puissent être ramenées facilement à des connaissances sur notre Univers. L'élégance nous dit d'oublier parfaitement le réel et de nous enivrer des merveilles des mondes abstraits. [...]
Chacun peut utiliser ces deux boussoles à sa guise. Certains préfèrent l'une à l'autre. D'autres se servent simultanément des deux et cherchent sans cesse l'équilibre parfait entre les deux directions qu'elles indiquent. Mais par un mystère du monde, il n'est pas rare de voir les explorateurs de l'utile et de l'élégance se retrouver aux même endroits après être passés par des chemins différents.
Le plaisir de comprendre récompense mille fois l'effort qu'on y consent.
Il ne s'agit pas toujours d'être plus intelligent, plus fort ou plus rapide pour résoudre de grands problèmes. Il faut avant tout être astucieux.
Faire des mathématiques, c'est entrer dans les coulisses du monde. C'est se glisser dans l'arrière-scène pour observer les gigantesques rouages qui font tourner notre univers.
Les mathématiques se moquent de savoir ce qui est évident, elles veulent seulement savoir ce qui est vrai.
C'est une des vertus perturbantes des mathématiques : il est possible de penser juste avec des choses qui n'existent pas. À vrai dire, c'est même le propre des mathématiques que de penser des choses qui n'existent pas. C'est-à-dire des choses abstraites.
Les Élements font partie de ces oeuvres qui dépassent leur auteur. On ne sait quasiment rien de la vie d'Euclide et presque toutes les sources anciennes le concernant ont été perdues. Ses Éléments en revanche furent copiés et recopiés de génération en génération. Traduits, améliorés, commentés, analysés ou prolongés, il s'agit de l'ouvrage scientifique ayant eu le plus d'éditions de tous les temps ! Les Éléments comptent treize volumes qui nous sont tous parvenus dans leur intégralité.
Euclide y pose les bases de l'ensemble des mathématiques de son époque avec une démarche rigoureuse et organisée d'une incroyable modernité. Beaucoup de choses ont changé depuis le temps de la jeune Alexandrie. La bibliothèque fut détruite et les sciences se sont radicalement transformées. Mais si une seule chose pouvait être qualifiée d'éternelle, cette chose, sans doute, serait la mathématique. Les théorèmes d'Euclide sont toujours enseignés dans les écoles du monde entier et sa méthode est restée quasiment inchangée vingt-trois siècles plus tard.
C'est une erreur de dire que la marée monte deux fois par jour. La mer ne fait que descendre vers un bas qui la fuit, poursuivant la Lune dans sa chute éternelle
Alors vient sans doute l'instant le plus délicat. Le plus inconfortable, mais aussi le plus enivrant. Celui du détachement. Le moment où les choses sont devenues si précises qu'elles redeviennent floues, où nous avons suffisamment bien compris pour comprendre que nous ne comprenons pas si bien. Comme une belle photo que nous regardons de trop près et qui se pixélise sous nos yeux.