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EAN : 9782864329077
137 pages
Verdier (03/01/2017)
3.81/5   31 notes
Résumé :
Denise s'est entichée de Paul, le narrateur. C'en était gênant au début. Alors, malgré ses habitudes volontiers casanières, il n'a pas refusé. Ensemble, ils ont passé un an dans son appartement parisien, une année de routine sans tellement se divertir. Lui, le matin, se rend à son bureau quand elle ne sort pas, car Denise est un chien, de bonne taille, un bouvier bernois, une femelle, ancienne élève de l'école des chiens d'aveugle, un cancre recalé pour sa couardise... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (15) Voir plus Ajouter une critique
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Ouf ! j'en ai fini avec ce livre !
Je ne savais pas du tout où j'allais en l'ouvrant. Un chien, le Ventoux, c'était tentant.

Je suis passée par des alternances d'admiration pour certaines scènes hilarantes, et d'énervement sur cette écriture qui déteste la fluidité et la simplicité, sur la cuistrerie de paragraphes entiers. Mais bon, pourquoi pas, il paraît que le Ventoux, ça se mérite. J'ai donc crapahuté dans ces phrases caillouteuses, râpeuses ; au virage de la page suivante, la progression serait peut-être plus facile.
Effort non récompensé : non seulement ça ne s'arrange pas, mais la fin de l'histoire elle-même est exactement du genre que je n'ai pas envie de lire. Là, je le reconnais honnêtement, le problème, c'est moi, ce n'est plus l'auteur.

Mais quand même : si Paul aime le chien - c'est indéniable - les descriptions qu'il en fait sont cauchemardesques, détaillant son anatomie avec un regard de médecin légiste, ou de boucher-charcutier.
Alors que c'est si beau, un bouvier bernois !
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Prise de contact avec Denise au Ventoux : effarement. Impression de lire un roman de Francis Ponge. Attention, j'aime Francis Ponge, dix lignes, vingt lignes d'une écriture serrée, recherchée, dense, au mot rare, à la tournure désuète voire biscornue. Les choses vues de près, à la loupe, comme on ne les regarde pas, pressé que l'on est.
Mais un roman entier, même s'il ne fait que cent trente huit pages, un roman entier écrit ainsi…
Je n'aime pas renoncer, je m'accroche, je comprends que mon rythme n'est pas le bon, qu'il me faut contrôler mon souffle. Je ralentis, je prends mon temps, je passe sur les mots qui me sont inconnus, en apprécie les sonorités, en subodore vaguement le sens, me dis qu'un jour, peut-être, j'ouvrirai un dictionnaire. Je poursuis ma quête, commence à apercevoir le paysage autour, encore quelques pas avant d'atteindre le sommet. J'y suis, c'est beau, vraiment beau !
J'ai adoré Denise au Ventoux, j'ai aimé ce livre qui ne se donne pas, qui ne s'avale pas comme ça, en passant. Je l'ai achevé émerveillée par tant de beauté car le final est grandiose, d'une poésie peu égalée qui m'a bouleversée.
Que je vous présente Denise qui s'est appelée Cooky puis Athéna mais le narrateur « lui trouvait un air à s'appeler Denise » : « un indéniable féminin dans ses façons, un certain populisme de gueule avec ses permanentes aux oreilles et ses mèches frisottées, l'humilité de son port, l'inné naturel se dégageant de son regard en chandelle, sa brave mine sociable… »
Denise ? Un magnifique bouvier bernois femelle qui occupe royalement « le canapé, alanguie d'un bord à l'autre, couchée sur le dos, la colonne n'importe comment, grande scoliose indolente, le bas-ventre nu sous le grand toboggan du thorax, le gros du ventre aussi, le péritoine offert avec, plus bas, ses lignes de tétons et elle en avait tant, rosis, en chemin de pis, double fortins, des mamelles dans le crin, petits plots fripés, la vulve en cul-de-poule au partage des cuisses creusées d'un incarnat blanchâtre - là où manque son pelage naturel, une plaque qui ressemblait aux maladies, teinte crevette -, le cou cassé sur l'accoudoir, sa tête de chien déjetée sur le débord d'un coussin solitaire du convertible, une babine s'affaissant sous son propre poids, découvrant une cordillère de canines et de molaires, comme une géologie de pics et d'aiguilles blanches, un diorama - plus tellement blanches, teinte mastic à cinq ans -, tous les chiens ont en bouche une chaîne des Alpes. »
Oui, Denise est fatiguée car Denise est parisienne et les marches en montagne ne font pas vraiment partie de son quotidien ! Que fait Denise avec Paul, le narrateur, au mont Ventoux ? Alors là, c'est une histoire, une sacrée histoire que je ne vais pas vous raconter ! Il faut dire que Denise a choisi Paul qui a accepté Denise. Mais Denise n'est pas à Paul, Denise est à Valentine et Valentine est allée courir le monde avec un bel homme du nom de Joop van Gennep (oui, hollandais) - un être extraordinaire dont les activités commerciales m'ont fait pleurer de rire, oui, vraiment ! Parce que, sachez-le tout de suite, ce texte est drôle, très drôle, la comédie humaine burlesque à souhait. L'humour est piquant, mordant (sans mauvais jeu de mots, bien entendu !) L'oeil attentif et amusé du narrateur observe le monde : tout se passe comme s'il se sentait vaguement étranger à toute cette mascarade.
Donc Denise est à la montagne. Elle s'éveille enfin, se réveille, celle qui dort beaucoup, à l'affût de la moindre odeur, du son le plus ténu et ce qu'elle découvre sur les pentes du Ventoux la transporte follement. Alors, elle court, celle qui ne se promène qu'en laisse, elle grimpe, suivie de Paul : « elle rentrait ivre des grandes terres, d'une bambée comme jamais elle n'en avait connue car, en plus des distances, des bonds et des galops, nulle part de tout le jour elle n'avait senti l'homme à part moi, cette essence usuelle à sa truffe, disparue, on eût dit qu'elle s'en grisait, du manque. »
J'aime les chiens, j'ai toujours eu des chiens, de toutes les tailles, de toutes les races, je les observe avec plaisir, je guette avec délice leurs réactions, analyse leur caractère. J'aime les textes qui parlent d'animaux, ceux de Colette, Virginia Woolf, Elisabeth von Arnim, Romain Gary, Roger Grenier, Akika Mizubayashi, Timothy Findley mais franchement, j'ai rarement lu de description aussi juste du comportement animal. Michel Jullien a un chien, des chiens sûrement, j'en mettrais ma main au feu. Voici par exemple le repas de Denise : « Les chiens ont une façon de manger à l'envers, ils engorgent le meilleur, dilapident sans goût, bâfrent d'abord sans succulence et se délectent ensuite des traces subsidiaires, les seules sapides dirait-on raffinées ; tout se passe comme s'ils voulaient se débarrasser du principal pour en venir aux exquis rogatons, aux souillures collées sur les bords de l'assiette, les seules précieuses à leurs papilles. Lorsqu'il n'y a vraiment plus rien dans la gamelle, alors le chien commence à manger. » C'est génial, d'une pertinence absolue !
Evidemment, je me suis attachée à Denise, une bonne bête, vraiment ! Evidemment, Paul aussi s'est attaché à Denise, mais Denise n'est pas à Paul vous ai-je déjà dit…

Je parlais de Ponge, du Parti pris des choses, il y a, je crois, de cela chez Michel Jullien, une certaine attention aux choses et aux êtres, à ce qui fait le monde, une sorte de contemplation, amusée souvent, étonnée parfois, fascinée toujours, de la forme que prend ce monde, cuissots de chien ressemblant aux contours de l'Afrique, bêtes à quatre pattes « debout comme des tables », truffe de l'animal dessinant sur la vitre embuée l'esquisse d'une estampe japonaise. Les choses se font paysages, oeuvres d'art, natures mortes, le vivant se réifie, encore faut-il prendre le temps de voir, d'observer, d'arrêter son regard, de cesser sa course.
L'écriture ici nous y aide, qui sert de frein.
Ralentir pour regarder dans le ciel le passage d'un avion : « Il me semblait qu'une certaine éternité naissait ou s'éteignait dans quoi nous étions désormais retranchés », vivre une espèce d'éternité commune, un face-à-face fou d'amour dans un paysage fou de beauté, homme et chien. L'animal, expert en attente. L'homme s'y initiant, contraint certes, mais refusant désormais le temps inscrit à son poignet.
Tous deux unis à jamais, quoi qu'il arrive. Mais j'en dis trop, j'en dis trop.

Une ode à la beauté, à la vie, à l'amour, au don de soi et au temps qui passe. Un texte fort et inoubliable.

Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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"Denise au Ventoux", voilà un titre à la simplicité énigmatique qui a attiré mon attention lors de la dernière opération "Masse Critique". Quand j'ai compris en en lisant le résumé que ce prénom plutôt désuet était celui d'un chien, j'ai trouvé le concept assez drôle et j'ai postulé. Merci donc aux Éditions Verdier et à Babelio de m'avoir entraînée dans les pas de Denise.

Paul, la narrateur se voit confier par Valentine, une amie appelée à suivre un amour aux États-Unis, la garde de sa chienne Athéna. Devant la bonhommie de cette femelle bouvier bernois de 4 ans et de ses 45 kgs, il décide de la rebaptiser Denise. Peu importe son nom, l'animal a un véritable coup de foudre pour Paul et est prêt à tout pour être à ses côtés (comme s'installer sur la micro-place à l'avant d'une voiture de location plutôt que sur la banquette arrière). Pendant presque un an, à Paris, leur duo improvisé va se contenter d'arpenter le pâté de maisons pour les promenades quotidiennes, y ajoutant quelques dimanche au parc. Mais voilà que les amours de Valentine ayant pris fin, après un énième séjour à l'hôpital où la conduit régulièrement sa neurasthénie, celle-ci annonce son retour et sa décision de récupérer sa chienne. Paul décide alors d'emmener son binôme pour une dernière escapade de quatre jours dans le Ventoux, loin des trottoirs parisiens. Et là....

Au début du roman, j'ai été déroutée par le style de Michel Jullien que je trouve assez "tarabiscoté". Puis rapidement, je me suis laissée convaincre par la poésie qui se dégage du texte, par l'exacte précision pleine d'humour des multiples descriptions de Denise (alanguie sur le canapé, roulée en boule dans la voiture, marchant toujours devant mais en attente de la décision du maître à chaque croisement,...). Paul ne s'étale pas beaucoup sur son existence personnelle, j'ai eu l'impression que sa rencontre avec Denise avait comblé un manque. Compter pour quelqu'un est important même si ce "quelqu'un" est un chien. C'est cette relation animal-homme qui est détaillée de façon magistrale, mais cependant sans bêtifier (pas de chien-chien à son pépère...). Les comportements de l'animal sont si bien saisis sur le vif que sans cesse ils me renvoyaient à ma propre relation avec les compagnons de ma vie (un clin d'oeil à Jaye dont l'ombre n'est jamais loin de la mienne, une pensée pour Whisky, Dick et Vicky qui ont rejoint le paradis des chiens). A côté de l'imposante présence de Denise, vous ferez la rencontre de personnages truculents comme Joop van Gennep, l'amoureux de Valentine, ainsi que d'Eliette, la pittoresque propriétaire du gite et de feu son chien Tonnerre, mais c'est surtout le Ventoux et les beautés de sa nature sauvage et dangereuse qui tiennent le second rôle.

Je n'avais pas l'intention de mettre 5 étoiles à ce livre car l'écriture bien que belle, est complexe. Je ne voulais pas mettre 5 étoiles car j'ai terminé ma lecture en larmes...
J'accorde finalement 5 étoiles et un 20/20 car je ne peux pas mettre moins, cette histoire sonne terriblement juste à mes yeux et parce que Denise et ses regards enamourés les valent bien, les 5 étoiles. Un autre coup de coeur pour 2017 !
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Le début est déstabilisant.

« Je n’aurais pas pu m’asseoir. Denise occupait le canapé, alanguie d’un bord à l’autre, couchée sur le dos, la colonne n’importe comment, grande scoliose indolente, le bas-ventre nu sous le grand toboggan du thorax. »
Denise ? se demande le lecteur, qui guette des indices, et qui attend la 11ème ligne pour en avoir la confirmation : oui, il s’agit bien d’un chien, ou plutôt d’une chienne.

Denise est, en effet, une femelle bouvier bernois, 4 ans, « ancienne élève de l’école des chiens d’aveugle de Paris, mais cancre recalé pour sa couardise urbaine », confiée pour une année à Paul, le narrateur. Car ce chien n’est pas le sien, c’est celui de Valentine, jeune femme un peu décalée, qui souffre de phobie sociale et qui, pour l’heure, est en voyage.

Le récit, sans être chronologique, présente deux moments que tout oppose : les tribulations de Denise et de son maître choisi dans la société humaine et urbaine et la course de deux compagnons au cœur d’une nature retrouvée et « sauvage ».

Autant d’occasions pour l’auteur de brosser tableaux et portraits aussi précis qu’humoristiques ou de mettre en scène de savoureuses saynètes.

Le chapitre 2 nous offre ainsi un flash back chez Valentine la phobique, pour une véritable scène de nature morte (façon Arman ?), où l’entassement-variation de petits objets renvoie à la petitesse quasi poétique du lieu : « Comme il était sur la tablette, le verre à dents de Valentine hérissé de bâtonnets et d’accessoires dentaires formait une nature morte en jouxtant une seconde, celle de la vasque en amande, elle-même touchant la nature morte aux biscottes, la nature morte au réchaud, aux cotons-tiges, au séchoir électrique avec son fil entortillé empiétant sur la nature morte d’à côté, celle à l’éponge, chaque élément comme agrégat d’une nature morte n’en faisant qu’une, à peine éclairée par l’unique prise de lumière de la chambre, une lucarne à bascule offrant une part du ciel, un mouchoir de poche aux nuages. »

Plus loin, ce sera, entre autres portraits à charge, car l’auteur est un maître en la matière, celui du truculent amoureux de Valentine, le néerlandais Joop Van Gennep, « l’accent gros comme un zeppelin doublé d’une lallation tirée de l’enfance, zozotée », hâbleur à grands effets de manche : un modèle de mauvais goût. Ayant fait fortune dans la vente de trèfle à quatre feuilles, il vient de se lancer dans la mise en scène sur estrade du mobilier supposé avoir été utilisé par Van Gogh dans l’auberge Ravoux à Auvers : ce matériel faussement vieilli, est exhibé dans toutes les salles des fêtes équipées du nécessaire de cuisine, salles d’auberges, salles domestiques pour des occasions privées, avec un slogan percutant : « Offrez-vous un dîner à la table de Van Gogh ».

Un art confondant du portrait, donc, mais surtout des trésors de finesse pour nous parler de la relation entre le narrateur et son chien, que ce soit dans leur vie quotidienne ou leur escapade finale, qui donne lieu à toutes sortes de scènes amusantes (Denise dans les rues de Paris, Denise dans le TGV, Denise dans la voiture de location...) ou émouvantes (Denise attendant le cliquetis des clefs annonciateur du retour de sa maîtresse ) et bien sûr à de multiples portraits (voir l’incipit du roman, ci-dessus) où l’auteur s’explique sur le nom qu’il lui donne (alors que sa maîtresse l’a baptisée Athéna) : « Un indéniable féminin dans ses façons, un certain populisme de gueule avec ses permanentes aux oreilles et ses mèches frisottées, l’humilité de son port, l’inné naturel se dégageant de son regard en chandelle, sa brave mine sociable, la candeur de ses placements rapportée à son bel acabit augmenté des filasses subsidiaires dépassant du poil, elle avait tout pour ce nom, du moins à mes yeux j’en conviens, cette idée ne reposant sur rien, c’aurait pu être Brigitte, Natacha ou Mireille mais Denise plutôt. »

Il faut dire que la relation qui se noue entre notre narrateur et cette chienne n’est pas banale.

Elle commence par ce qui s’apparente à un coup de foudre : dès qu’elle le voit, Denise est mystérieusement attirée par ce bipède, alors qu’elle ne l’a jamais vu : « Je les croisai un soir, rue Stanislas, quittant mon service. Athéna me reconnut à six pas, je n’eus pas même le temps de saluer sa maitresse, elle était déjà sur moi, ses deux pattes en appui contre mes épaules, pétulante, sans tarir, cherchant mes joues de son mufle tandis qu’en retrait Valentine semblait s’embrunir de cette fête ».
Et cette énigmatique attirance va se reproduire dans la scène qui suit, au cours de laquelle, à l’occasion d’un pique-nique dans Paris, la chienne va manifester clairement sa préférence pour le narrateur.
Et il n’est pas si fréquent non plus de parler de chien en littérature. Après « L’appel de la forêt » de Jack London, « Mon chien stupide » de John Fante, ou plus proche « Dans la guerre » d’Alice Ferney, Michel Jullien réussit, lui, le tour de force de nous faire ressentir ce que le chien peut ressentir dans son for intérieur.


Et puis bien sûr, il y a le final. En dire trop serait priver le lecteur du plaisir de découvrir ces quelques pages éblouissantes.
Parce que nous sommes dans une nature magnifiée : Michel Jullien, alpiniste accompli, n’a pas son pareil pour nous emmener sur les sentiers du Ventoux. Et le lecteur est emporté ! Le récit monte en puissance au fur et à mesure qu’on s’élève mentalement sur les pas du promeneur et de son chien. En fin observateur, l’auteur sait nous conduire là où il veut.
Dans la montée du Ventoux, on délaissera les cabots qui hurlent à leur passage : « Ils hurlaient en famille, s’en enrouaient, du moins le plus éraillé des quatre donnait le ton sur quoi les autres plaçaient leurs cordes, un rauque voilé, quatre énergumènes ne sachant plus quoi faire de toute leur tête, de tout ce qui n’était pas crocs si bien que leurs yeux tellement secoués laissaient penser au strabisme. »
Non, Denise n’est pas faite de cette eau-là.
Elle serait même plutôt indulgente vis-à-vis de ses congénères, une manière affable à elle d’accueillir leur réaction : « Jamais en une année je n’avais vu Denise s’émouvoir pour une quelconque bête, quand elle en croisait. Tout à l’heure encore aux Bernard, elle avait passé les clôtures sans s’arrêter à la furie des cerbères. Elle ne manifestait aucun intérêt sinon une obscure douceur à l’égard de ses congénères. De son apprentissage à l’école de la cécité, elle avait peut-être raté le probatoire mais elle conservait un fond d’aménité, une retenue vis-à-vis de la gent animale, sans distinction d’espèces ».

L’auteur verserait-il dans le péché d’anthropomorphisme ? Non pas.
Toujours sur la crête, il sait rester du bon côté de la limite, et ne prête jamais à Denise des pensées qui seraient celles des humains.
En témoigne ce passage où la chienne va se laisser déborder par son instinct primitif, et où son maître va enfin l’entendre aboyer, mais un « aboyer, salement, de gorge, le cou loin avec l’œil roulé à chaque décharge, l’échine en herse, la tétanie aux pectoraux mais aussi, la caudale de sa queue qui marquait la cadence d’une heureuse fureur contre le peuple des fuyards ».

Du grand style, donc, du vocabulaire et du bon, du subjonctif et du passé simple, le tout au service de la description d’une relation sensible et plein de finesse.

On ne révèlera pas jusqu’où son instinct conduira Denise. On invitera simplement le lecteur à être témoin d’un face-à-face légendaire, à s’approcher discrètement de la scène finale, à écouter la voix de Michel Jullien nous conter le chant du geai ou nous parler d’un trognon de joubarbe, un « tronc vert cuisine, la tête avec des teintes pamplemousses au départ des plumets ». Puis, on se retirera sur la pointe des pieds, on refermera doucement la quatrième de couverture jaune des éditions Verdier, et on restera un moment l’air vague, le nez en l’air, sans rien dire, en songeant qu’on vient de dénicher un grand styliste.

Lien : http://www.revue-secousse.fr..
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C'est un petit livre qui se mérite... Il faut entrer dedans, accepter de se confronter à l'écriture assez complexe de Michel Jullien, lâcher prise en quelque sorte pour se laisser emmener en dehors de sa zone de confort. Il faut accepter, oui, car le voyage est aussi difficile d'accès que les pentes escarpées du Ventoux, mais l'arrivée est belle, poignante, on atteint un état de plénitude qui justifie tous les efforts. Un peu comme une ascension...
C'est l'histoire de Paul et de Denise. Une très courte histoire. C'est Denise qui a remarqué Paul la première alors qu'il fréquentait sa maîtresse, en toute amitié. Ah oui, j'ai oublié de vous le dire, Denise est un chien, un bouvier bernois qui pèse bien ses 43 kg. Denise vivait avec Valentine (et s'appelait alors Athéna) qui s'en est trouvée bien encombrée lorsqu'elle a envisagé de suivre l'homme de sa vie (croyait-elle) aux Etats-Unis. Alors on s'est rappelé que Denise sautait sur Paul à chaque fois qu'elle le voyait. Peut-être que Paul ?... Et voilà comment il fut décidé que Denise habiterait chez Paul le temps de la virée américaine.
Michel Jullien nous parle avec beaucoup de talent de ce qui fait la relation entre un homme et un chien, en quoi cette relation influe sur le reste de sa vie et peut-être sur sa façon de regarder le monde autour de lui. Au bout d'un an de promenades dans le quartier parisien de Paul et d'escapades de fin de semaine au bois de Vincennes, Paul décide d'offrir à Denise un vrai bol d'air. Ce sera le Ventoux, Paul décidant de transformer une contrainte en opportunité. Quatre jours "en amoureux" dans cette nature immense, quatre jours pour se dépenser, faire le plein d'oxygène et de courses folles...
Dois-je avouer que j'ai fini ce livre en larmes et que j'en ai rêvé toute la nuit qui a suivi ? Les dernières pages sont sublimes et touchent au coeur. Alors oui, l'écriture peut déstabiliser un moment, mais l'ascension vaut le coup !

Alors une fois encore, merci à Babelio pour ces Masses critiques qui sont toujours l'occasion d'oser découvrir de nouveaux auteurs et de se lancer dans des lectures qu'on n'aurait peut-être pas osé aborder sans cela. Et merci aux Editions Verdier de s'être prêtées à l'expérience pour mon plus grand plaisir.
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critiques presse (1)
Culturebox
09 mars 2017
Sujet inattendu, soutenu par une écriture au pixel, qui ouvre sur l'animal et sur la relation qui le lie à l'homme, une perspective singulière.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Il est difficile de croire en la totale sincérité du sommeil canin. On s'y fait prendre. Rien ne réveillerait l'animal, dix gamins à la fête s'agitent autour en braillant, avec des turlututus, leurs sauts, des costumes, des manèges tant qu'ils vont, leur barouf bat son plein lorsque soudain, en pleine cacophonie d'anniversaire, survient le petit cliquetis des clés dans la serrure, un bruit infinitésimal noyé par le reste, bénin, toutefois ferreux, venu de la porte, le maître revenant, la bête se redressant avec cette éveillée fraîcheur au rictus de la gueule qu'ont les princesses ayant dormi mille ans. Les chiens ont un talent de la fatigue, comme s'ils avaient le don de puiser de leur sommeil l'exacte dose d'assoupissement et de guet à part égale.
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L’homme qui promène son chien dans les grandes villes hérite d’un étrange statut de marcheur. Il n’a rien d’un passant. Ceux-là traversent le paysage de là à là, lui tourne en rond au pied des mêmes immeubles, astreint au surplace ; il le sait au fond de lui-même, sa mine le dit, ses sorties sont dévolues à la bête, il s’en acquitte, il n’est sorti que pour ça tandis qu’autour de lui vont des passants, des gens qui marchent pour eux. On dit promener son chien mais ce n’est pas tout à fait un promeneur non plus, ses voyages s’accomplissent sous la contrainte, par habitude, ils sont peu consentis, mal aimés après un certain nombre de mois. Pas non plus un badaud, un flâneur ; la balade est comptée, il n’a pas son temps ni la fantaisie de s’écarter du trajet, d’aller comme il le voudrait, d’abandonner subitement ses plans, de changer d’itinéraire, d’interrompre son cheminement pour un autre, de relâcher autrement que pour les brèves haltes lorsque l’animal en réclame, de plot en plot, seule occasion d’arrêt dont il ne décide pas, au mouchard des crottes. Il n’a en vérité qu’un seul credo, achever le tour et rentrer, lui et sa bête revenus des beaux horizons d’une sortie. Le promeneur de chien des villes se démarque des foules, ses poursuites pédestres ont comme un pas d’écart, il piétine, hors flux, voué à des boitillements de quartier, le bras tiré en avant vers la terre, lesté par la laisse. Avec la régularité de ses sorties et ses fréquents arrêts, avec ses tournées invariables, minutées, il pourrait faire penser aux facteurs (en plus de son métier le facteur est une espèce d’horloge laïque), mais le préposé des postes avec sa sacoche a tout d’une figure publique, communautaire, souvent saluée, capable de déroger à son grand ministère pour vous accorder une petite faveur citoyenne tandis que le promeneur de chien relevant d’autres chandelles sur la chaussée porte sur lui le sceau d’une individualité catégorique.
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Lorsque je rencontrais Cooky la première fois, devenue Athéna, je lui trouvais un air à s'appeler Denise, à l'évidence, la mienne il est vrai. Tout me le disait, ce n'est fondé sur rien mais je suis sincère, c'est ce qui me vint et j'aurais dû me taire. Un indéniable féminin, dans ses façons, un certain populisme de gueule avec ses permanentes aux oreilles et ses mèches frisottées, l'humilité de son port, l'inné naturel se dégageant de son regard en chandelle, sa brave mine sociable, la candeur de ses déplacements rapportée à son bel acabit augmenté des filasses subsidiaires dépassant du poil, elle avait tout pour ce nom, du moins à mes yeux j'en conviens, cette idée ne reposant sur rien, ç'aurait pu être Brigitte, Natacha ou Mireille mais Denise plutôt.
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Denise et moi quittâmes Paris sans grands effets, deux sacs à petit fourniment. La compagnie des trains accorde aux chiens une place singulière : ils paient leur billet sans avoir de siège, ce qui fait d’eux des demi-bagages et des demi-passagers, ni l’un ni l’autre, quelque chose d’hybride. Le prix est en fonction de leur masse. Dans le cas de Denise, il en coûtait la moitié d’un billet plein tarif. Les chiens compostent puis, muselés, se placent comme ils peuvent sous les sièges, là où s’effleurent les jambes des usagers. À mes pieds, le grand corps du bouvier n’y tenait pas, un peu de sa salive moussant par-dessus les coutures de sa muselière, s’épongeant sur la moquette du rapide, son fessier réchauffant les souliers de mon voisin, le contraignant à ne pas étendre plus loin ses jambes. Homme courtois, quoique attaché à ne rien céder de ses aises, s’efforçant avec nombre signes de rendre manifeste l’extrême limite de sa philanthropie, si bien que je me résignai à ranger Denise autrement, la poussant dans la travée centrale, là où passent les gens avec d’énormes bagages à roulettes bien après que le train a démarré, quand il va déjà à plein régime. Elle encombrait, incontestablement, étendue dans le couloir, neutralisant le flux. Je la poussais chaque fois au passage des grandes valises, elle se relevait d’un coup de rein comme font les chameaux du désert avant qu’elle ne replonge entre mes jambes pour s’époiler contre celles du voisin. Elle avait cette gaine de cuir à la gueule, pour moi le poignet garrotté par la laisse, nous allions aux forêts du Vaucluse.
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(...) il me fallut plus de temps pour regagner ma portière qu’elle n’en mît à rejoindre la place avant, reprenant ses marques au fauteuil (...) le panache de sa queue balayant le tapis de sol. Sa position valait déjà pour habitude, à croire que nous n’avions vécu que ça ensemble, être en voiture.
(p 29)

Au paillasson d’Eliette, après que j’eus sonné, comme nous attendions sous la marquise gouttant sur sa queue, Denise m’interrogea de ses yeux en valise, disant assez qu’elle avouait tout ignorer du lieu où nous touchions tandis que sa confiance restait sans borne.
(p 31)
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