Citations sur Kukum (158)
Pour la première fois de notre histoire, les jeunes Innus ne se tournaient plus vers les aînés pour apprendre. Pire, ils s'en méfiaient, car leurs professeurs leur avaient répété que leurs parents, incapables de lire, étaient des sauvages, des incultes, des arriérés. À force de l'entendre, ils ont fini par le croire.
J'ai vécu la maternité comme une grande responsabilité qui m'était confiée. La vie en territoire pouvait paraître fragile et elle l'était souvent. La survie des humains dépendait de leur capacité à s'adapter au monde, à vivre en harmonie avec la nature, comme le font les autres espèces. Nous y avions notre place. C'est ainsi que j'en suis venue à comprendre notre existence en forêt.
C'est difficile d'expliquer le territoire d'avant. Le bois d'avant les coupes à blanc. La Péribonka d'avant les barrages. Il faut imaginer une forêt sautant d'une montagne à l'autre jusqu'au-delà de l'horizon, visualiser cet océan végétal balayé par le vent, réchauffé par le soleil. Un monde où la vie et la mort se disputent la préséance et au milieu duquel coule, entre des berges sablonneuses ou des falaises austères, une rivière qui ressemble à un fleuve. C'est ardu à expliquer parce que cela n'existe plus. Les usines à papier ont dévoré la forêt. La Péribonka a été soumise et souillée. D'abord par la drave, puis par les barrages qui ont avalé ses chutes impétueuses et créé des réservoirs dont l'eau nourrit maintenant les centrales électriques.
J'arrivais d'un monde où l'on estimait que l'humain, créé à l'image de Dieu, trônait au sommet de la pyramide de la vie. La nature offerte en cadeau devait être domptée. Et voilà que je me retrouvais dans un nouvel ordre des choses, où tous les êtres vivants étaient égaux et où l'homme n'était supérieur à aucun autre.
Partout où il existe, les êtres humains aiment le printemps. Après des mois sans lumière, ils ont l'impression de renaître.
Partout où il existe, les êtres humains aiment le printemps. Après des mois sans lumière, ils ont l'impression de renaître.
Je ne suis qu'une vieille qui a trop vécu. Toi au moins, mon lac, ils ne peuvent rien contre toi. Tu es immuable.
J'ai grandi dans un monde immobile où les quatre saisons décidaient de l'ordre des choses. Un univers de lenteur où le salut dépendait d'un bout de terre qu'il fallait travailler et retravailler sans cesse. Mes plus anciens souvenirs remontent à la cabane où nous vivions, guère plus qu'une modeste maison de colons en bois, carrée, avec un toit à deux versants et une seule fenêtre sur sa façade. Devant, un chemin de sable. Derrière, un champ arraché à la force des bras à la forêt. C'est un terroir rocailleux et, pourtant, les hommes le traitent comme un trésor, le retournent, l'engraissent, l'épierrent. Et il ne rend en retour que des légumes fades, un peu de blé et du foin pour nourrir les vaches, qui donnent le lait. La récolte serait bonne ou pas. Cela dépendrait du temps. Le Ciel en déciderait, disait le curé. Comme si Dieu n'avait que ça à faire.
- Ils ne se contentent pas de couper les arbres, rageait-il, c'est toute la vie qu'ils détruisent, les oiseaux, les animaux, ils abattent l'esprit même de la forêt. Comment des hommes peuvent-ils se montrer aussi cruels ?
Une perdrix a détalé dans un froissement de plumes. J'ai levé mon arme, visé et tiré. Foudroyée en plein vol, elle s'est cabrée, puis s'est écrasée sur les rochers avec un bruit sourd.
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" J'ai été chanceuse. Je n'ai pas pensé. J'ai tiré. "
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" Il n'y a pas de chance Manda. L'animal fait le sacrifice de sa vie. C'est lui qui décide. Pas toi. Il faut lui être reconnaissant. C'est tout. "
Les mots de la sœur de Thomas m'ont pénétrée et, peu à peu, la fierté a fait place au sentiment de culpabilité. J'ai remercié l'esprit de l'animal, dont le sac reposait dans le sac de Christine. J'ai espéré qu'il pouvait m'entendre.