AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Arimbo


Arimbo
03 décembre 2020

Un petit préambule avant de commenter ce livre passionnant.
Pour rappeler combien dans ce domaine de la science qu'est l'anthropologie, comme dans tant d'autres, les progrès sont extraordinaires et exponentiels ces dernières années. Et ceci (comme toujours depuis que Homo sapiens existe) grâce aà de nouveaux "outils", ici ceux de la génétique, le séquençage de l'ADN à haut débit et les outils informatiques associés, qui permettent en peu de temps d'avoir l'intégralité de l'agencement des 3 milliards de paires de bases du génome humain. Un autre exemple d'un domaine scientifique d'actualité, c'est l'utilisation du génie génétique pour la fabrication d'un vaccin contre la Covid 19 en un temps record, moins de 9 mois, ce qui était inimaginable il y a quelques années.
Mais dans le même temps, pour constater avec tristesse que l'on assiste à une croissance tout aussi exponentielle de la défiance envers la science, des discours complotistes, des fake-news, des croyances irrationnelles. Comme si se maintenait et s'amplifiait, parallèlement au développement de la rationalité scientifique, ce besoin ancestral, "préhistorique" d'appréhender le monde par la croyance et non par les faits.

Le livre d'Evelyne Heyer, professeure d'anthropologie génétique au Musée de l'Homme à Paris, nous raconte, au travers de l'analyse des gènes des humains actuels et de ceux de nos divers ancêtres, les origines de notre humanité, mais aussi certains éléments surprenants des moeurs et cultures des humains d'aujourd'hui et d'hier.
C'est absolument passionnant, plein d'informations étonnantes.

La première partie nous explique l'histoire d'Homo sapiens, la séparation des Hominidés des Chimpanzés, il y a 5 à 6 millions d'années, puis l'émergence d'Homo sapiens en Afrique, il y a 400000 ans au Maroc, soit 100000 ans avant la datation faite en Afrique de l'Est et du Sud. La chercheuse nous explique aussi que l'analyse de l'ADN mitochondrial, transmis seulement par les mères, confirme l'origine africaine de "l'Eve mitochondriale", Puis, son premier départ d'Afrique vers l'Europe et l'Asie il y a 70000 ans, au rythme de 3 km par génération.
Dans son périple vers l'ouest, Sapiens rencontrera à l'Ouest du Moyen Orient Neandertal, dont les ancêtres étaient partis d'Afrique il y a 700000 ans. L'analyse du génome de Neandertal, au passage une prouesse technique, montrera qu'il est vraiment très proche de nous, beaucoup plus que son apparence le laisse croire, à 99,87% alors qu'entre deux sapiens l'identité est de 99,9%!. Et puis, qu'il y eut des relations intimes entre Sapiens et Neandertal, plutôt de Madame Sapiens avec Monsieur Neandertal, ce qui laissera dans le génome de tous les Européens 2% de génome néandertalien, avec comme effet une peau plus claire, une meilleure résistance aux pathogènes et des modifications métaboliques.
Mais ce n'est pas tout. Dans son voyage vers l'Est, d'autres Sapiens se mélangeront avec Denisova, un descendant d'autres hominidés partis d'Afrique, avec pour conséquence environ 6% d'ADN dénisovien dans le génome des humains de l'Asie du Sud-Est, du Tibet, et aussi indonésiens et australiens. Cette intégration de génome favorisera par exemple l'adaptation à l'altitude des tibétains.
Dans les dizaines de milliers d'années qui suivent, Evelyne Heyer nous montre les incroyables migrations voire les allées et retours que feront les humains, vers l'Australie il y a 50000 ans, vers l'Asie, l'Europe de l'Ouest (au passage l'étude de l'ADN montre que nous étions noirs jusqu'à il y a 9000 ans!), l'Amérique il y a 15000 ans, comment les Pygmées se séparent génétiquement des autres africains il y a 60000 ans, etc...

Et puis, dans une deuxième partie, c'est la révolution néolithique, il y a 10000 ans. Certains Sapiens deviennent agriculteurs au lieu d'être chasseurs -cueilleurs; l'analyse génétique montre qu'une expansion démographique, sans doute liée à la fin de l'âge glaciaire, précède l'invention de l'agriculture, et qu'en Europe ce sont des populations venues de l'Est (l'Anatolie actuelle) qui migrent en apportant l'agriculture, les migrations étant plus complexes en Asie.
Chose étonnante, le changement d'alimentation, les céréales remplaçant l'alimentation riche en vitamine d'des poissons et gibiers des chasseurs-cueilleurs, des mutations induisant une peau claire apparaissent, permettant à la peau de produire plus de vitamine D.
D'autres mutations apparues il y 6500 ans vont permettre à certains Sapiens, essentiellement des éleveurs, mais pas tous, en Europe, en Afrique sub-saharienne, mais peu en Asie, de pouvoir à l'âge adulte dégrader le lactose du lait, qui constituera de ce fait un élément important de l'alimentation.
Et puis,encore des migrations venue de l'Est vers l'Ouest de l'Europe, il y a 3000 ans, à l'âge du Bronze, dont on retrouvera la trace génétique chez tous les Européens , sauf les Sardes qui sont donc restés "néolithiques"!

Dans une troisième partie, Mme Heyer nous montre à l'aide de nombreux exemples, comment l'analyse génétique des populations peut nous en dire énormément sur les moeurs et les cultures, les migrations et les brassages, ou pas, des populations, comment les différences linguistiques ne se superposent pas toujours aux différences génétiques. Comment par exemple, les femmes bougent toujours plus que les hommes, comment le développement de sociétés hiérarchisés conduit à ce que les génomes des "puissants" se retrouvent plus que les autres, comment cela se manifeste le plus souvent de façon patrilinéaire (ah, la domination masculine!) mais pas toujours, chez les chasseurs-cueilleurs, ce sont les femmes, comment la différence de religion peut parfois expliquer les différences génétiques, mais ce n'est pas toujours le cas, cela dépend du niveau d'endogamie, très variable selon les régions, etc...C'est absolument passionnant.

Enfin, dans une dernière partie, la chercheuse démonte le concept de races, construit en réalité pour asseoir une domination, mais sans fondement génétique. Elle nous apprend, notamment, chose absolument stupéfiante, c'est que les ancêtres de toute l'humanité actuelle vivaient tous il y a seulement 3000 à 5000 ans, donc que nous sommes tous cousins! Elle nous montre aussi l'intérêt pour la diversité génétique du brassage les populations humains, et enfin, nous rappelle que de tout temps, il y a eu des migrations importantes des humains, et au passage démonte le mythe des migrations exclusivement des pays du "Sud" vers les pays du "Nord"

Tout cela nous est raconté de façon très vivante, avec enthousiasme et humour, la passion de la chercheuse est communicative. Elle nous fait partager parfois son expérience de terrain, qui n'est pas toujours triste; ainsi quand dans une région habitée de Sibérie, les chercheurs arrivent dans une zone où s'est malencontreusement écrasé un vaisseau Soyouz et qu'ils sont pris pour des espions, ils décident de partir précipitamment de Russie avec leurs échantillons d'ADN!
Le discours est très pédagogique et le style très imagé. Un seul regret important, mais sans doute l'auteure n'y est pour rien, c'est l'absence quasi totale d'illustrations, de figures et tableaux qui aideraient beaucoup à la compréhension du texte. C'est malheureusement devenu fréquent dans les ouvrages de vulgarisations scientifiques, sans doute par mesure d'économie, mais c'est vraiment dommage. Car, comme le dit un proverbe chinois, un dessin vaut mieux que mille discours.
Une autre qualité de l'ouvrage, c'est que la chercheuse nous fait partager l'esprit de la démarche scientifique, avec sa nécessité d'esprit critique, avec aussi ce que la science nous apprend, mais les questions auxquelles elle ne peut répondre dans l'état actuel des connaissances, voire auxquelles elle ne pourra pas répondre. C'est réjouissant de lire cela, ce degré d'incertitude du scientifique, exemple de l'esprit de raison qui doute, dans un monde où beaucoup veulent des certitudes sur tout.

En conclusion, une masse exceptionnelle d'informations sur notre histoire de Sapiens.
Commenter  J’apprécie          176



Ont apprécié cette critique (12)voir plus




{* *}