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Citations sur Narcisse et Goldmund (192)

Les poissons, la bouche douloureusement ouverte, leurs yeux d'or anxieux et fixes, s'abandonnaient avec résignation à la mort ou se débattaient contre elle avec fureur et désespoir. Comme il était arrivé maintes fois déjà il fut pris de pitié pour ces animaux et de dégoût à l'égard des hommes ; pourquoi étaient-ils si insensibles et brutaux, si immensément bêtes et stupides ; pourquoi ne voyaient-ils rien, […] pourquoi ne voyaient-ils pas ces bouches, ces yeux dans l'angoisse de la mort, ces queues frappant furieusement autour d'elles, cette affreuse et inutile lutte désespérée, cette transformation intolérable des animaux mystérieux, merveilleusement beaux, le dernier léger frisson de la mort passant sur leur peau agonisante avant qu'ils soient là, allongés, morts et éteints, lamentables morceaux de viande destinés à la table des mangeurs réjouis ? Ils ne voyaient rien, ces hommes, ils ne savaient rien et ne s'apercevaient de rien, rien ne leur parlait. Peu importait qu'une pauvre et noble bête crevât sous leurs yeux […] ; ils ne voyaient rien, rien ne les touchait. Tous ils étaient joyeux, ou occupés, se donnaient des airs d'importance, ils étaient pressés, criaient, riaient, ou rotaient les uns devant les autres, chahutaient, blaguaient, se chamaillaient pour deux liards, et tous trouvaient que tout allait bien, que tout était dans l'ordre, et tous se sentaient contents d'eux et du monde. C'étaient des cochons, ah ! bien pires, bien plus dégoûtants que des cochons.

Chapitre XII.
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Notre amitié n’a pas d’autre but, n’a pas d’autre sens, que de te montrer comme tu es absolument différent de moi.
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Et pourtant, ce qui l'attendait maintenant était encore pire qu'il n'eût pu l'imaginer. Cela commença aux premières fermes, aux premiers villages, et plus il avançait, plus cela persistait en s'aggravant. Toute la région, tout le vaste pays était sous un nuage de mort, sous un voile d'horreur, d'angoisse qui assombrissait les âmes, et le pire, ce n'étaient pas les maisons désertes, les chiens qui pourrissaient morts de faim à la chaine, les morts restés sans sépulture, les enfants qui mendiaient, les fosses communes devant les villes. Le pire, c'étaient les vivants qui, sous le fardeau de l'effroi et de l'angoisse mortelle, semblaient avoir perdu leurs yeux et leurs âmes. .. Des parents avaient abandonné leurs enfants et des époux leurs femmes quand ils étaient tombés malades. Les valets de la peste et les aides des hôpitaux régnaient en bourreaux, pillant les maisons vidées par la mort, tantôt, selon leur bon plaisir, laissant les morts sans sépulture, tantôt traînant les vivants, avant qu'ils aient cessé de respirer, hors de leurs lits sur les chars à cadavres... Chacun prétendait connaître le coupable, cause de l'épidémie, ou ses auteurs criminels ... Celui sur qui pesait un tel soupçon, à moins qu'il ne fût averti et pût fuir, était perdu, il était mis à mort par la justice ou par la populace. Les riches incriminaient les pauvres et réciproquement ; ou bien ce devaient être les juifs, ou les welches, ou les médecins. Dans une ville, Goldmund vit, le coeur soulevé de fureur, toute la rue des juifs en flammes, maison par maison, le peuple se tenait autour, hurlant sa liesse, et repoussant dans le brasier, par la force des armes, les fugitifs qui hurlaient. Dans cette angoisse et cette folle exaspération, partout on tuait, on brûlait, on martyrisait des innocents...
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Il se disait que lui-même, comme tous les hommes, s'écoulait, se transformait sans cesse pour se dissoudre enfin, tandis que son image créée par l'artiste resterait immuablement la même et pour toujours.
Peut-être, pensait-il, la source de tout art et sans doute aussi de toute pensée est-elle la crainte de la mort. Nous la craignons, nous frissonnons en présence de l'instabilité des choses, nous voyons avec tristesse les fleurs se faner, les feuilles tomber chaque année, et nous sentons manifestement dans notre propre cœur que nous sommes, nous aussi, éphémères et que nous fanerons bientôt. Lorsque, comme artistes, nous créons des formes ou bien, comme penseurs, cherchons des lois ou formulons des idées, nous le faisons pour arriver tout de même à sauver quelque chose de la grande danse macabre, pour fixer quelque chose qui ait plus de durée que nous-mêmes. La femme d'après laquelle le maître a sculpté sa madone est peut-être déjà fanée ou morte et bientôt il sera mort lui-même, d'autres habiteront sa maison, mangeront à sa table, mais son œuvre restera, dans la silencieuse église du cloître elle brillera encore au bout de cent ans et bien au-delà et demeurera toujours belle, souriant toujours du même sourire triste dans son éternelle jeunesse.

Chapitre X.
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C'était vraiment honteux d'être ainsi berné par la vie ; c'était à en rire et à en pleurer ! Ou bien on vivait en s'abandonnant au jeu de ses sens, […] on connaissait alors mainte noble joie, mais on restait sans protection contre l'instabilité des choses humaines ; on était alors comme un champignon dans la forêt, tout resplendissant de ses riches couleurs, mais qui, demain, pourrira. Ou bien on se mettait en défense, on s'enfermait dans un atelier, on cherchait à dresser un monument à la vie fugitive : alors il fallait renoncer à la vie, on n'était plus qu'un instrument, on se mettait bien au service de l'éternel, mais on s'y desséchait et on y perdait sa liberté, sa plénitude, sa joie de vivre […].
Et pourtant toute notre vie n'avait un sens que si on parvenait à mener à la fois ces deux existences, que si elle n'était pas brisée par ce dilemme : créer sans payer cette création du prix de sa vie ! Vivre sans pour cela renoncer au noble destin du créateur ! Était-ce donc impossible ?
Peut-être existait-il des hommes qui en étaient capables. Peut-être existait-il des époux et des pères de famille à qui la fidélité ne faisait pas perdre le sens de la volupté. Peut-être y avait-il des sédentaires dont le cœur ne se desséchait pas faute de liberté et de danger. Il se pouvait. Il n'en avait encore vu aucun.
Tout être reposait, semblait-il, sur une dualité, sur des oppositions. On était homme ou femme, chemineau ou bourgeois, intellectuel ou sentimental ; nulle part on ne trouvait ce rythme de l'inspiration et de l'expiration, on ne pouvait être à la fois homme et femme, jouir de la liberté et de l'ordre, vivre en même temps la vie de l'instinct et de l'intelligence. Toujours il fallait payer l'un de la perte de l'autre et toujours l'un était aussi précieux et désirable que l'autre.

Chapitre XVI.
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En réalité Narcisse n'ignorait nullement ce que lui offrait son ami ; il ne fermait pas les yeux à sa beauté en fleurs, à sa vitalité orientée dans le sens de la nature, à l' opulence de ses dons en plein épanouissement... Au contraire, son affection pour le blondin était trop ardente et c'était là pour lui le danger, car aimer n'était pas pour lui une fonction naturelle, mais un miracle. Il ne lui était pas permis de s'éprendre de Goldmund, de se borner à contempler avec délices ces jolis yeux, le rayonnement épanoui de ces cheveux blonds. Il ne pouvait permettre à son amour, même pour un instant, de s'attarder dans la sensualité. Car Narcisse, qui se sentait destiné pour son existence entière à la vie ascétique du moine, à l'effort vers la sainteté, était vraiment promis à une telle existence. Une seule forme d'amour lui était permise : la plus haute. Mais Narcisse ne croyait pas que Goldmund fût appelé à la vie ascétique. Il s'entendait mieux que tout autre à lire dans la conscience des hommes et ici où il aimait, les choses lui apparaissaient dans une clarté plus vive. Il discernait la véritable nature de Goldmund et la comprenait à fond, car elle était une moitié perdue de sa propre nature. Il la pénétrait, toute bardée qu'elle fût d'une solide enveloppe de chimères, fruit d'une éducation à contresens et de préceptes paternels. Il soupçonnait depuis longtemps le secret tout simple de cette jeune existence. Son devoir lui apparaissait clair ; dévoiler ce secret à celui qui en était porteur, le débarrasser de sa gangue, restituer à son ami sa nature vraie. Ce serait pénible et le plus dur était qu'il y pourrait peut-être perdre son amitié.
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Je crois, dit-il, qu’un pétale de fleur ou un vermisseau sur le chemin contient et révèle beaucoup plus de choses que tous les livres de la bibliothèque entière. Avec des lettres et des mots on ne peut rien dire. Parfois j’écris une lettre grecque quelconque, un thêta ou un oméga, et je n’ai qu’à tourner un tout petit peu la plume ; voilà que la lettre prend une queue et devient un poisson et évoque en une seconde tous les ruisseaux et tous les fleuves de la terre, toute sa fraîcheur et son humidité, l’océan d’Homère et les eaux sur lesquelles marcha saint Pierre, ou bien la lettre devient un tout petit oiseau, dresse la queue, hérisse ses plumes, se gonfle, rit et s’envole. Eh bien, Narcisse, tu ne fais sans doute pas grand cas de ces lettres-là ? Mais je te le dis, c’est avec elles que Dieu a écrit le monde.
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Souvent il rêvait d’un jardin, un jardin enchanté, planté d’arbres comme ceux des contes, avec des fleurs immenses, des grottes bleuâtres et profondes ; parmi les herbes brillaient les yeux étincelants de bêtes inconnues, aux branches glissaient des serpents lisses et nerveux, aux vignes et aux buissons pendaient des baies énormes, humides et brillantes, elles s’enflaient dans sa main qui les cueillaient et versaient un jus pareil à du sang, ou bien prenaient des yeux et se déplaçaient avec des mouvements langoureux et perfides ; sa main cherchait-elle une branche pour s’appuyer à un arbre, il voyait et sentait entre le tronc et la branche une touffe épaisse de cheveux emmêlés comme les poils au creux des aisselles. Une fois, il rêva de lui-même ou de son saint patron, de Goldmund-Crysostome ; il avait une bouche d’or, et de sa bouche d’or sortaient des mots et ces mots étaient une foule de petits oiseaux qui s’en allaient en voltigeant.
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Bien sûr, Narcisse ; ce n'est pas toi que j'accuse et je ne veux pas dire que tu ne sois pas un bon abbé. Mais je songe à Rébecca, aux juifs que l'on brûle, aux fosses communes, à tous ces morts qui trépassent en masse, aux rues et aux maisons pleines et puantes de cadavres de pestiférés, à toute cette immense et horrible désolation, aux enfants restés seuls à l'abandon, aux chiens morts à la chaîne - et quand je pense à tout cela, quand j'évoque toutes ces images, mon cœur me fait mal et il me semble que nos mères nous ont enfantés dans un univers désespérément cruel et diabolique et qu'il vaudrait mieux qu'elles ne l'eussent pas fait, que Dieu n'ait pas créé ce monde d'épouvante et que le Sauveur ne se fût pas laissé cloué pour lui sur la croix.
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Vois, dit-il, il n'y a qu'un point où j'aie sur toi l'avantage. J'ai les yeux ouverts, tandis que tu n'es qu'à demi éveillé ou que parfois tu dors tout à fait. J'appelle un homme en éveil celui qui, de toute sa conscience, de toute sa raison, se connait lui-même, avec ses forces et ses faiblesses intimes qui échappent à la raison et sait compter avec elles.Apprendre cela, voilà le sens que peut avoir pour toi notre rencontre. Chez toi, Goldmund, la nature et la pensée, le monde conscient et le monde des rêves sont séparés par un abîme. Tu as oublié ton enfance. Des profondeurs de ton âme elle cherche à reprendre possession de toi. Elle te fera souffrir jusqu'à ce que tu entendes son appel.
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