Sincèrement, le nom de
Somerset Maugham n'évoquait pour moi, en bon historien de l'art, qu'un portrait par
Graham Sutherland, conservé à la Tate de Londres. Mais également une chanson éponyme d'
Alain Souchon… À la lecture du roman graphique de
François Rivière, illustré par Jean-Claude Floc'h, je me suis souvenu d'avoir tenté, dans mon adolescence, la lecture de «
le Fil du rasoir », dans une vieille édition en Livre de Poche. Et que cela m'était tombé des mains assez rapidement, probablement parce que j'étais trop peu mature pour apprécier ce type d'intrigue et d'écriture.
« Villa Mauresque » est donc une biographie narrée par Maugham, entrecoupée de témoignages des proches de l'écrivain anglais (ses deux amants principaux, son frère, son neveu, ses rivaux littéraires, son épouse, sa cuisinière, etc.) Il est étonnant que Maugham soit revenu des morts pour nous raconter les péripéties de sa vie, comme s'il était sorti de ce purgatoire où dorment tant d'écrivains oubliés (qui se souvient de
Louis Bromfield, par exemple ?) Ainsi un bon nombre des noms de célébrités (écrivains, acteurs, artistes) cités dans ce livre me sont totalement inconnus, ce qui nous prouve bien que le syndrome de notre époque (être connu à tout prix) n'est que de la pure vanité. Donc Maugham a eu beau défrayer la chronique mondaine, faire les choux gras des critiques littéraires, voyager aux quatre coins du monde, collectionner les aventures, rien de tout cela ne l'a empêché de disparaître dans l'ombre de celui qu'il ne voulait pas devenir :
Oscar Wilde.
Mais voici que
François Rivière, anglophile réputé, décide de ressusciter celui qui vivait dans le sud de la France (Saint-Jean-Cap-Ferrat), dans une villa qualifiée de mauresque. Et selon les termes propres du magicien français, pour parvenir à écrire cette biographie, il faut "être dans le vrai déguisé en faux" ; si bien que le portrait est sans concession (comme celui peint par Sutherland). Rivière ne fait l'impasse ni sur le caractère capricieux, ni sur l'homosexualité, ni sur la déchéance physique de l'auteur de théâtre. Il en résulte le sentiment de toucher à la condition humaine de celui qui fut la coqueluche de la Jet Set de l'entre-deux guerres.
Le graphisme des illustrations de Floc'h lui semble toujours sous l'influence de
E.P. Jacobs, le père des héros so british, Blake et Mortimer. Une ligne claire qui va à l'essentiel pour réaliser quelques saynètes, quelques tranches de vie mises en parallèle avec le texte. Chaque chapitre est introduit par un portrait sur fond noir de son narrateur. Bref, la complémentarité parfaite que j'avais déjà appréciée dans les diverses bandes dessinées qu'ils ont déjà publiées auparavant.
Ce roman graphique est donc, à mon sens, une réussite, ne serait-ce que par l'évocation de cette époque, de ces personnes, de cet univers.