Pistaches, pastis & pis t'as pastiches !
Bon titre pour une chronique ça, qui met en appétit, qui a du style. Aguicher, dévoiler sans révéler. Comme « Omar m'a tuer » ou « Qui a tué l'homme-homard ? », déjà on sait vers où on va. Sans détours, ça je ne peux promettre car
Jean Marcel Erre, donc j'essaye de suivre. Enfin c'est beau d'annoncer d'emblée qu'il y aura meurtre. En même temps, c'est un polar.
Le mystère reste entier, on a placé deux figures, jusque là on est bon.
L'accroche.
« On a ouvert avec un meurtre bien sordide, un homme-homard découpé en morceaux, c'est original, c'est visuel, c'est gourmand. A mon avis, on a marqué des points. » p.233
Le mystère reste entier, on a placé une citation, fait monter la sauce, on est bon là.
L'aveu.
(Attention, je ne plaide pas coupable, pour rappel je ne suis pas dans le roman. Non mais quelle histoire !)
J'avoue, j'en pince pour les livres de
J.M. Erre et ce n'est bien sûr pas celui-ci qui me fera changer d'avis. Bon, pour la fine bouche, perso, je l'aurais jeté vivant dans l'eau bouillante avant de le couper en morceaux (20 c'est beaucoup quand même). Mais enfin c'est de la popotte interne et tant qu'à revisiter la recette du polar autant le faire aussi pour celle du homard.
Entre parenthèse on a pastiché le pasticheur, introduit le faux espoir d'une révélation, joué de l'ascenseur émotionnel avec un chaud froid tout en évitant la chute. Donc le mystère reste entier (contrairement à l'homme-homard qui n'est pas dans son assiette).
La révélation.
-Déjà ?
-Ben oui, je reste sur un court-bouillon.
Chuuuut !!! Ce polar est aussi un guide du polar. Et ce n'est pas tout : il s'agit d'un roman post-moderne.
-Ké kc'est ça ???
-C'est expliqué sur wiki mais je te conseille l'épisode 6 du blog de Winona Jane : Je vois la vie en monstre p.229
-Là, bravo.
-… « est modeste et repose sur la question que tout a été dit, déjà, et qu'il faut reprendre les anciennes règles en renouvelant ce qui peut l'être. […] Margoujols, mon Pulp Fiction à moi.»
-Margoujols ?
-4ème de couv.
Le mystère reste entier, on a placé un dialogue, changé de niveau en parlant du travail d'écriture, c'est tout bon.
Les personnages.
Il y en a beaucoup, mais pas trop car la narratrice a l'intelligence de ne pas nous présenter les 432 habitants de ce petit village de Lozère. Ni les autruches, fille du maire mais apolitique^^ Julie ; par contre elle cherche un carnet^^. Alors il y a Joseph, un homme-homard, qui s'est fait une carapace en insultant tous les gens du village, cela fait 431 coupables potentiels, plus 4 norvégiens, plus 2 policiers, plus une journaliste, l'on peut exclure les autruches. Mais dans tous cette consanguinité, il n'y a finalement que l'assassin(e) qui vous intéresse et je préfère ne pas en parler, alors que je pourrais renouveler la règle en post-modernisant dans un élan paroxysmique. Un mot sur Julie plus attachée à son fauteuil roulant qu'attachante, d'autant qu'elle est plus baveuse qu'une omelette de la mère Poulard, ou encore qu'un escargot sur une route de Bourgogne limitée à 80 (à retirer lors de la mise sur le site car la métaphore est aussi vielle que la recette de la mère Poulard, que l'omelette revisitée avec les oeufs d'autruches c'est raccord et post-moderne, alors que l'escargot à 80 c'est un coup à se mettre plus de Français à dos que Joseph et ne plus pouvoir rentrer dans sa coquille).
Mine de rien on a encore placé deux figures, situé l'action, soigné le vocabulaire, introduit un côté terroir, surpris son lectorat en révélant que comme dans l'inspecteur Barnaby il y a plusieurs victimes, si, si, Ah ! Ah ! Elle est bien bonne et le mystère reste entier.
L'hommage
Ce n'est par contre pas un mystère que
J.M. Erre dans l'exploration narrative de différents genres littéraires en totale liberté, maniant différents type d'humour à multiples degrés, en s'appuyant sur une imagination débridée et jouissive. Singulier, il l'est et son style est déjà une signature. Se tromperaient les lecteurs-trices, qui s'arrêteraient au seul aspect rigolo. L'humour irrévérencieux est un véhicule très puissant pouvant sans modération dépasser largement le 80, et à même d'approcher l'indicible ce qu'en fin de compte n'arrivent à faire que les écrivains talentueux. C'est un coup de génie que cette apprentie-narratrice, détective-amatrice, handinspectrice, native-tétraplégique, pilote confirmée, cynique patentée ou qui l'est. Pourquoi pas ? Je lis un peu partout déjanté, moi je trouve simplement que ce fauteuil roulant débridé tient drôlement la route. Et d'autre manière l'humour de couleur n'a jamais fait rire personne, alors que l'humour noir est un régal et que rien ne vaut le noir de noir. Noir, c'est noir, chantait Johnny !!
« Face au tumulte de la vie moderne, sachons profiter du cadeau offert par un mort : le silence. » p. 198
Remerciements
La lecture d'un livre de
J.M. Erre est toujours un moment de rare jubilation intérieure, le chroniquer un bonheur à partager. Je remercie vivement Babelio pour cette masse critique et les éditions Buchet Chastel pour leur confiance.