Un roman aux allures de conte philosophique
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Un très court format qui se lit vite mais qui se relit pour savourer toute la subtilité, la fraîcheur, la puissance des mots, de la narration.
Je n aime pas l onirisme, mais ici ça se fond dans l histoire comme si l irréel pouvait co-exister.
Un saumon qui parle? Mais bien sûr :)
Je crois bien que je me suis confondue par certains moments avec l héroïne. Certaines situations me semblaient familières. Un langage universel dans cette quête sur l identité. Un petit bijou à faire connaître et à lire.
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Je connais un peu Ingrid : elle est folle. Qu'est-ce qu'être folle ? C'est créer une tempête dans un verre d'eau. Pourquoi ? Parce que le verre est trop petit pour la contenir.
Elle se débat. Comment ? Par les sens qui débordent, la chair qui crie, l'humour mordant, l'amour mordant. Ses dents, ce sont ses mots qui crissent quand elle crie. de plaisir ? D'implaisir ? Les deux mon capitaine.
Ainsi va-t-elle sur l'eau. Dans une barque, pas comme le Christ. C'est si dur de parler avec les hommes qu'elle parle avec un saumon, qui la trahit. En fait, c'était un homme. Même les saumons ne sont pas sûrs.
Ingrid, Sophie, est exactement la complice rêvée : elle a du répondant qui est la complicité même, voire une délicieuse soumission. La masochiste est la maîtresse. Nul homme ne peut avoir le dessus.
Qu'il parte, l'homme, le père, le saumon, lui reste au travers de la gorge, comme une arête. Ils ne savent que trahir, partir, mais la conne c'est elle avec son besoin d'y croire.
Ingrid Sophie est la Marilyn des Misfits confrontée à des hommes cherchant à asservir les chevaux sauvages, tout son corps arc-bouté car ne le voulant pas. Que dit Ingrid Sophie de la soumission ? « On pense que se perdre en l'autre nous sauvera. de quoi, on ne sait pas. »
J'en suis là. Son saumon a filé pour une morue. Ingrid Sophie on ne veut pas la lâcher, cependant, aucun bras ne peut la contenir.
Restauratrice. Spécialiste de lasagnes. Comment fait-elle des lasagnes dans son restaurant. Les lasagnes sont molles, et elle est dure. Sans doute, dure et molle à la fois.
Elle quitte le plancher de pâtes pour l'asphalte. À la recherche de…
Sensuelle jusqu'à craquer. Mais qui craque ? L'autre ? Elle ? Évidemment, il n'y a pas d'autre. Pourtant, on a besoin de parler, de faire tourner sa langue dans la bouche de quelqu'un. L'oreille, la bouche… c'est pareil.
Sous des mots châtiés, la vulgarité lui va bien au teint. Cette vulgarité est une fraise qui éclate entre les dents.
Cette vulgarité est là sans être totalement palpable.
Ingrid Sophie est la putain maternante : elle dit haïr tout ce qui vient de la mer. La mer / mère sage est une insulte à la totalité.
La rage, la colère, envers le saumon qui l'a trahie. Elle repart à la chasse en Walkyrie. « le premier l'avait attendrie. le prochain devrait mourir. »
Suit un défilé d'hommes, comme au 14 juillet ou au peloton d'exécution. Elle veut jouir. Elle demande peu de choses en fait. La salve des balles. À défaut de toucher l'autre, elle aime se toucher. Boule de chair blanche. Mais le saumon félon a cassé sa dextérité complice. le manque, c'est quand l'autre s'introduit.
Elle n'a pas osé cuire ce saumon et elle reste le ventre en feu, le brasier pas éteint, jour et nuit alors que même les restaurants ferment. de nouveau, elle se jette dans « l'amour prémonitoire, anticipant le réel, pour mieux le soumettre à son désir. »
Ingrid Sophie se laisse prendre sans se laisser envahir. Besoin que le corps exulte, comme un fruit trop gorgé. Ça doit sortir. Une grenade. Jeu avec l'infini, la solitude, le bord, la frontière, l'indicible, la porosité. Je suis ouverte en tout point et inaccessible.
Être présente et fuir. « Ce que l'on déteste le plus est ce vers quoi on revient toujours. »
Elle embarque vers l'enfer alors que son corps est un paradis.
S'il y a une histoire dans ce roman, elle n'a qu'un intérêt anecdotique : c'est pour la forme romanesque. Il ne s'agit que du poids du corps exultant. D'être confronté à la vanité du mot. de lui faire rendre gorge.
J'arrête cette critique toute personnelle à mi-lecture pour laisser les lecteurs terminer par eux-mêmes.
Dans ce roman, Ingrid Sophie cherche son père. J'ose là un petit délire psychanalytique : chercher son père, c'est chercher quelqu'un qui peut vous emplir, vous fourrer, donner un signe à l'informel jouissant, une limite.
N'avoir que le nom, ce qui est son cas, Beurkman, est rester une coquille vide. Un magma de lave coulante qui ne pétrifie pas, qui ne s'arrête pas. le road trip est la lave qui coule. Elle est nommée et innomée, en fusion, vivante, trop vivante, pas assez marquée par le sceau mortel de l'homme, le sceau fini, qui clôt la lettre.
Toute femme, trop femme, infinie.
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" (...) Il ne t’a pas abandonnée, il ne s’est simplement pas manifesté dans ta vie. Pour des raisons, même les plus sombres, même les plus honteuses, qui font partie de l’intime d’un homme. Enfin, je dis ça, j’imagine. Si j’avais abandonné un être, je m’en voudrais, je crois. Mais comment faire autrement ? Quand on ne peut pas, on ne peut pas. Je crois profondément, Nina, que notre vérité propre est une bonne raison de faire bien des choses, ou de ne pas les faire. Il n’y a plus de bien, il n’y a plus de mal, il n’y a que soi avec soi."