Troisième bande-dessinée du français
Robin Cousin aux éditions FLBLB après
le Chercheur Fantôme et
le profil de Jean Melville,
Des Milliards de Miroirs s'immisce dans la sélection 2019 du prix Utopiales de la meilleure BD.
Ce n'est pas un hasard puisque ce roman graphique de 256 pages s'intéresse à une thématique particulièrement en vogue en science-fiction cette dernière décennie : la fin du monde. Mais non content de nous servir une histoire apocalyptique d'une grande finesse, l'auteur-dessinateur français nous interroge aussi sur notre propre existence moderne et notre rapport à l'information.
Premier Contact
Le monde va mal. Mais nous le savons déjà. Les derniers animaux en liberté sont morts et les spécimens restant survivent dans un conservatoire zoologique de la dernière chance, les ressources sont quasiment épuisées et…nous sommes toujours désespérément seul dans l'univers. Jusqu'au jour où l'ESA (l'Agence Spatiale Européenne) décide d'envoyer un million de miroirs dans l'espace reliées ensemble par un réseau laser complexe pour servir de super-télescope à l'humanité afin de trouver une nouvelle planète habitable et, qui sait, une vie extra-terrestre. Si les choses sont d'abord loin d'être aussi passionnantes dans les premières années, Cécilia Bressler découvre de mystérieux réseaux lumineux à la surface de Gamma Cephei Bb. Ni une ni deux, elle déclare par surprise à la télévision qu'une race extraterrestre existe bel et bien, embrasant les médias et ses concitoyens qui sont immédiatement partagés entre le bonheur de cette découverte et la peur d'être repéré par un ennemi implacable. Seul un petit groupe d'illuminés convaincus depuis longtemps que les Céphéens existent et qu'il est possible de communiquer avec eux se réjouissent, et tout particulièrement Antimaadmi, vieillard fanatique qui voit là une occasion parfaite de recruter à tour de bras.
Des Milliards de Miroirs croisent donc la trajectoire de plusieurs personnes.
Celle d'Antimaadmi et de ses disciples tout d'abord, persuadés que le gaspillage d'énergie de l'humanité l'a conduit droit à sa perte et que d'improbables E.Ts ont déjà réussi à survivre au désastre des dizaines de milliers d'années plus tôt.
Puis Cécilia Bressler, petit rouage insignifiant de l'ESA jusqu'à cette célébrité soudaine qui lui vaut les feux de la rampe et qui n'arrive même pas à voir la tristesse de son mari, Simon, qui désire des enfants dans un monde partant littéralement en morceaux.
Autre personnage-clé, Benjamin Eberhardt, blogueur sur la fin du monde et collapsologue enragé incapable d'annoncer autre chose que la dernière heure de l'humanité.
Enfin, Elaine Leong, chargée des relations spatiales internationales de l'ONU et connue, à tort, comme l'ambassadrice terrienne pour une hypothétique rencontre avec une civilisation extra-terrestre.
Tout ce beau monde va intervenir plus ou moins directement autour de cette folle histoire de premier contact en révélant, tel un miroir, les peurs et obsessions de l'être humain moderne.
Fake News et peur médiatiques
Dès le second chapitre,
Robin Cousin convie Cecilia, Benjamin et Elaine sur un plateau de télévision pour révéler l'ampleur du racolage médiatique et du journalisme-spectacle mettant sur le même pied d'égalité un blogueur anonyme, une scientifique de l'ESA et une représentante de l'ONU. Outre le scandale et les gros titres, l'histoire s'interroge sur le rôle joué par les médias et réseaux sociaux en cas de découverte aussi capitale et sensible qu'une vie extra-terrestre. Pire encore, comment les grandes chaînes sont-elles capables de délivrer une information décente quand elle passe n'importe qui à l'écran, y compris une secte d'illuminés que personne n'écoutait jusque là ? Un point de détail intéressant qui explique beaucoup de choses sur la dissémination des propagandes anti-vaccins et complotistes de par le monde à l'heure actuelle. Ce qui interpelle également ici, c'est la propagation virale de l'information, quasiment impossible à confiner…et à confirmer. Relayées de façon beaucoup trop précoce, les nouvelles en provenance de l'étrange planète découverte par Cecilia n'ont en réalité rien de concrètes.
L'apocalypse, un prétexte commode
Mais ce qui semble le plus intéressant dans cet ouvrage bien plus dense qu'il n'y parait de prime abord, c'est que la fin du monde est devenue tellement certaine à notre époque qu'elle sert de prétexte à tout et n'importe quoi. Au rejet de l'autre, à la foi en des absurdités de plus en plus énormes, en un laisser-aller décomplexé et, surtout, en un abandon quasi-total des générations futures. C'est cette dernière thématique que développe les arcs scénaristiques de Benjamin, tellement obnubilé par sa fin du monde et son envie d'avoir raison qu'il n'en voit plus l'avenir de sa propre fille, et celui de Simon, désespéré avant même d'avoir pu donner la vie à son tour.
Robin Cousin s'interroge de façon évidente sur le rôle du pessimisme ambiant qui semble avoir envahit tous les champs de notre vie quotidienne, de la littérature au cinéma en passant par la presse. Comment pouvons-nous construire un avenir si nous sommes déjà convaincus d'être morts ? Sur fond de catastrophe écologique,
Des Milliards de Miroirs nous questionne directement sur notre comportement et nos objectifs à plus ou moins long terme, en tant qu'individus mais également en tant que civilisation. Ce qui est le plus drôle d'ailleurs, c'est que les miroirs mis en orbite par l'humanité renvoient à chaque individu une perception différente de Gamma Cephei Bb. Peut-être que la diversité des apocalypses envisagées actuellement ne sont, au final, que les multiples reflets de nos propres renoncements…?
Oeuvre passionnante et édifiante,
Des Milliards de Miroirs remet en perspective l'inéluctabilité de l'apocalypse tout en s'interrogeant sur nos terreurs primales, celles d'humains ordinaires rongés par la peur habitant sur une planète qu'ils semblent avoir déjà abandonné avant la fin de la partie. Peu à peu, le récit de
Robin Cousin passe du désespoir intégral à l'espoir lancinant pour finir sur un pari un peu fou : et si nous nous battions jusqu'au bout ?
Lien :
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