Un tout petit bijou autobiographique,! C'est un bijou, non pas parce que l'histoire soit aussi pertinente, ou que des personnages aient été façonnés de toutes pièces avec une imagination débordante pour nous émouvoir. C'est une histoire ordinaire, avec des personnages ordinaires que la majestueuse écriture de Colette à rendu attachant, une mère hardie, un père placide, deux frères cocasses, une soeur misanthrope....Entre tous, seule la mère va marquer la vie de notre auteure, d'où le titre de Sido. .Et puis tous les détails cette femme attachée à sa campagne, à ses moeurs, à son jardin, ses goûts pour les fleurs, pour les petits soins ménagers, Colette nous en parle avec entrain, mais qu'elle sera un peu frustrée quand la voyante spirite lui dira ne voir que son père et son frère qui se soucient d'elle dans l'au-dela, mais qu'elle ne voyait pas sa mère, la résolue Sido...
Commenter  J’apprécie         420
Sido, suivi des vrilles de la vigne... Lire, relire, Gabrielle Colette c'est toujours entrer dans un jardin. Et c'est bien peu, si peu, de dire cela. Insuffisant. C'est toujours une histoire d'amour. De parfums, de lumières, de tendresses fauves, de miel et de ronces. C'est le regard d'un chat, un vent venu de l'est, un vallon qui respire, une gorge qui murmure. Colette est de par nature l'écrivaine des sens. Qui mieux qu'elle sait nous donner la source, la soie, le sabot, l'herbe et ce sourire confiant ? La fièvre des roses, l'odeur du cuir, des chairs et des tabacs ? Elle n'a jamais quitté son enfance. C'est peut peut être ce goût là qui nous revient en bouche lorsque sous sa plume nous voyons « le soleil marcher sur le sable ».
Dans ce jardin particulier boire cette « gorgée imaginaire ». Sido, ses frères, le Capitaine, cette terre, ces racines, ces douleurs, ces bêtes là, ces âmes ci et toutes ces musiques anciennes.
C'est beau comme Verlaine, c'est doux comme Colette. La poésie se fait comme ça. Et peu importe le bruit qui vient de la rue. Regarde. Ce qui importe ce sont les jardins, là où naissent les parfums.
« J'écoute, la tête sur ta poitrine, palpiter le vent, les flammes, et ton coeur, cependant qu'à la vitre noire toque incessamment une branche de pêcher rose, à demi effeuillée, épouvantée et défaite comme un oiseau sous l'orage... » Le dernier Feu. extrait
Regarde ou tu cesseras de respirer.
Astrid Shriqui Garain
Commenter  J’apprécie         341
Peu de jours après, je trouvais ma mère sous l’arbre, passionnément immobile, la tête à la rencontre du ciel d’où elle bannissait les religions humaines…
- Chut ! … Regarde…
Un merle noir, oxydé de vert et de violet, piquait les cerises, buvait le jus, déchiquetait la chair rosée…
- Qu’il est beau ! … chuchotait ma mère. Et tu vois comme il se sert de sa patte ? Et tu vois les mouvements de sa tête et cette arrogance ? Et ce tour de bec pour vider le noyau ? Et remarque bien qu’il n’attrape que les plus mûres…
- Mais maman, l’épouvantail…
- Chut ! … L’épouvantail ne le gêne pas…
- Mais, maman, les cerises ! …
Ma mère ramena sur la terre ses yeux couleur de pluie :
- Les cerises ? … Ah ! oui, les cerises…
« J’appartiens à un pays que j’ai quitté. Tu ne peux empêcher qu’à cette heure s’y épanouisse au soleil toute une chevelure embaumée de forêts. Rien ne peut empêcher qu’à cette heure l’herbe profonde y noie le pied des arbres, d’un vert délicieux et apaisant dont mon âme a soif… Viens, toi qui l’ignores, viens que je te dise tout bas le parfum des bois de mon pays égale la fraise et la rose ! Tu jurerais, quand les taillis de ronces y sont en fleurs, qu’un fruit mûrit on ne sait où, – là-bas, ici, tout près, – un fruit insaisissable qu’on aspire en ouvrant les narines. Tu jurerais, quand l’automne pénètre et meurtrit les feuillages tombés, qu’une pomme trop mûre vient de choir, et tu la cherches et tu la flaires, ici, là-bas, tout près..
Et si tu passais, en juin, entre les prairies fauchées, à l’heure où la lune ruisselle sur les meules rondes qui sont les dunes de mon pays, tu sentirais, à leur parfum, s’ouvrir ton cœur. Tu fermerais les yeux, avec cette fierté grave dont tu voiles ta volupté, et tu laisserais tomber ta tête, avec un muet soupir…
Et si tu arrivais, un jour d’été, dans mon pays, au fond d’un jardin que je connais, un jardin noir de verdure et sans fleurs, si tu regardais bleuir, au lointain, une montagne ronde où les cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et poussiéreux, tu m’oublierais, et tu t’assoirais là, pour n’en plus bouger jusqu’au terme de ta vie.
Il y a encore, dans mon pays, une vallée étroite comme un berceau où, le soir, s’étire et flotte un fil de brouillard, un brouillard ténu, blanc, vivant, un gracieux spectre de brume couché sur l’air humide… Animé d’un lent mouvement d’onde, il se fond en lui-même et se fait tour à tour nuage, femme endormie, serpent langoureux, cheval à cou de chimère… Si tu restes trop tard penché vers lui sur l’étroite vallée, à boire l’air glacé qui porte ce brouillard vivant comme une âme, un frisson te saisira, et toute la nuit tes songes seront fous…
Écoute encore, donne tes mains dans les miennes : si tu suivais, dans mon pays, un petit chemin que je connais, jaune et bordé de digitales d’un rose brûlant, tu croirais gravir le sentier enchanté qui mène hors de la vie… Le chant bondissant des frelons fourrés de velours t’y entraîne et bat à tes oreilles comme le sang même de ton cœur, jusqu’à la forêt, là-haut, où finit le monde…
C’est une forêt ancienne, oubliée des hommes, et toute pareille au paradis, écoute bien, car…
Jour gris – Les vrilles de la vigne.
La forme des années a changé pour moi, durant que moi, je changeais. L’année n’est plus cette route ondulée, ce ruban déroulé qui de janvier montait vers le printemps, montait, montait vers l’été pour s’y épanouir en calme plaine, en prés brûlants coupés d’ombres bleues, tachés de géraniums éblouissants, puis descendait vers un automne odorant, brumeux, fleurant le marécage, le fruit mûr et le gibier, puis s’enfonçait vers un hiver sec, sonore, miroitant d’étangs gelés, de neige rose sous le soleil…
Annonçait-on, dans un journal, le dégel? Ma mère haussait l'épaule, riait de mépris.
"Le dégel? Les météorologues de Paris ne m'en apprendront pas! Regarde les pattes de la chatte!"
Frileuse, la chatte, en effet pliait sous elle des pattes invisibles, et serrait fortement les paupières.
"Pour un petit froid passager, continuait "Sido", la chatte se roule en turban, le nez contre la naissance de la queue. Pour un grand froid, elle gare la plante de ses pattes de devant et les roule en manchon."
(Sido)
Il y avait dans ce temps-là de grands hivers, de brûlants étés. J'ai connu, depuis, des étés dont la couleur, si je ferme les yeux, est celle de la terre ocreuse, fendillée entre les tiges du blé et, sous la géante ombrelle du panais sauvage, celle de la mer grise ou bleue. Mais aucun été, sauf ceux de mon enfance, ne commémore le géranium écarlate et la hampe enflammée des digitales. Aucun hiver n'est plus d'un blanc pur à la base d'un ciel bourré de nues ardoisées, qui présageaient une tempête de flocons plus épais, puis un dégel illuminé de mille goutes d'eau et de bourgeons lancéolés...
COLETTE/ SIDO / LA P'TITE LIBRAIRIE