La période de la Seconde Guerre mondiale est une époque très scénarisée dans la fiction historique, mais le premier roman de Vanessa Chan propose la vision orientale du conflit alors que nous sommes davantage habitués au point de vue occidental. de la même manière, il offre le point de vue des colonisés plutôt que celui des colonisateurs.
En prologue, l'autrice déclare que les grands-parents en Malaisie refusent de parler des quatre années d'occupation japonaise de 1941 à 1945, tant la situation était terrible. Et c'est précisément cette époque, et celle qui l'a précédée, qu'elle a choisi d'évoquer en retraçant l'expérience de la famille Alcantara : Gordon, Cecily et leurs trois enfants, Jujube, Abel et Jasmin.
Le roman débute en février 45 sur la disparition de jeunes garçons enlevés pour être internés dans des camps de travail.
" Quelques mois après l'invasion japonaise, les écoles commencèrent à fermer et les soldats à occuper les rues. Les Japonais firent plus de morts en trois ans que les Britanniques en cinquante. Cette brutalité surprit les paisibles Malais, habitués au flegme et à la moue blasée des Britanniques, lesquels avaient coutume de les laisser en paix du moment qu'ils obtenaient leurs quotas d'etain et de caoutchouc. "
Lorsque son fils Abel disparaît, les flashbacks qui commencent dans le chapitre suivant dévoilent le passé d'espionne de Cecily. Grâce à la position de son mari au sein de l'administration coloniale britannique, elle est entrée en contact avec un homme qui se présente comme Bingley Chan, un marchand de Hong Kong. Il s'agit en fait de Shigeru Fujiwara, un agent de l'armée impériale japonaise qui travaille secrètement pour renverser les Britanniques. Il attire Cecily avec son discours sur "une Asie pour les Asiatiques" , mais elle est aussi séduite par son charisme et phantasme sur une possible relation. Elle accepte de lui remettre des informations volées sur le bureau de son mari.
L'autrice fait de Cecily un personnage complexe, tiraillé entre ses désirs d'indépendance et son rôle d'épouse et de mère. Même s'il est difficile pour les lecteurs d'éprouver de la sympathie pour cette femme qui fait toujours les mauvais choix, il faut reconnaître qu'elle est un personnage fort qui refuse d'être enfermée dans les rôles étouffants qu'on veut lui imposer.
Avec des revendications féministes, elle veut contribuer au basculement de l'Histoire en oeuvrant pour la fin de la colonisation britannique.
D'autant plus qu'elle souffre du rapport de classes instauré par la classe dirigeante blanche de Grande-Bretagne envers les employés asiatiques. Même si la situation de son mari l'amène à côtoyer les occupants, elle éprouve " ce pincement de honte qu'elle ressentait chaque fois qu'une épouse britannique l'evitait chez un commerçant, ou chaque fois que son mari rentrait chez eux, tout exalté d'avoir reçu le vague assentiment d'un collègue blanc qui peinait à se souvenir de son prénom. "
La sexualité de Cecily est alors abordée pour exprimer le profond ascendant que le japonais exerce sur elle. En donnant cet appétit sexuel à une mère de famille, l'autrice assoit l'emprise exercée par Fujiwara et accorde à son héroïne une libido que certains seraient tentés de confisquer en raison de sa situation familiale.
"Cela faisait des mois que son ventre se nouait à chacune de leurs rares rencontres. En sa présence, Cecily avait l'impression d'être à la fois ivre et assoiffée."
"Il suffisait que Fujiwara prononce son prénom pour que chaque pore de sa peau exsude- de la sueur, du désir, de l'excitation, autant de réactions primaires qui donnaient à Cecily l'impression de se liquéfier."
Ce désir refoulé va se révéler plutôt positif pour elle et pour son entourage. On découvre alors une épouse épanouie, une mère attentionnée et une femme au foyer diligente. le sentiment amoureux s'exprime essentiellement dans la perspective de relations sexuelles et métamorphose la mère de famille car " la joie qui l'habitait agissait comme un bouclier."
Au fur et à mesure que la trahison de Cecily se développe dans les chapitres flash-back, les horreurs de 1945 se déroulent en parallèle pour chacun des enfants qui prennent en charge la narration.
On découvre la situation tragique d'Abel dans le camp de travail, et le fait qu'il ait été vendu aux Japonais par son professeur d'histoire à l'école de garçons, un missionnaire britannique nommé frère Luke qui prétendait aimer tous ses élèves.
Jujube, la fille aînée, sérieuse et responsable, doit assumer son travail dans un salon de thé mais aussi veiller sur sa famille puisque ses parents n'en sont plus capables depuis la disparition d'Abel et la gouvernance japonaise.
Parmi les nombreuses exactions commises par l'armée d'occupation, l'autrice révèle l'enlèvement de filles très jeunes qui sont envoyées dans des " centres de confort", qui sont en fait des bordels pour les soldats. La petite Jasmin, huit ans, est alors enfermée dans la cave jusqu'au jour où elle s'échappe et disparaît à son tour.
De nombreux personnages de Vanessa Chan se posent la question de savoir ce qui fait une "bonne" ou une " mauvaise" personne.
Mais la réponse est d'autant plus difficile qu'elle change en fonction du contexte ou dans le cadre de situations traumatisantes.
La promesse de Fujiwara semblait bénéfique pour la Malaisie mais n'a apporté que des crimes et des violences. Malgré ses bonnes intentions, Cecily a donc mis sa famille et son pays en danger.
Comme si elle en avait le pressentiment, elle déclarait au début du roman :"N'est-ce pas ce qui fait l'homme, d'être à la fois bon et mauvais ?."
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En 1945, Cecily vit la guerre comme une déchéance. Son mari a perdu son poste de fonctionnaire quand les Britanniques ont quitté le pays, chassé par les Japonais. Quand son fils, Abel, disparait, elle sait que tout est de sa faute, mais personne ne doit savoir, ni ses filles, Jasmin et Jujube, ni son mari, Gordon.
J'ai terminé ce roman, espérant toujours réussir à éprouver de l'empathie pour les personnages, mais je n'y suis jamais parvenu. Et à part de parler de l'occupation de la Malaisie, d'abord par les Britanniques, puis par les Japonais, le roman n'aborde jamais la vie dans ce pays et pourrait se passer à peu près n'importe où. Et c'est logique puisque le seul but de Cecily et son mari, c'est d'être le plus blanc possible et le plus intégré à l'intelligentzia britannique, rejetant tout ce qui pourrait amener une tâche sur leur CV (amis compris). Tout ce qu'il faut pour ne pas les apprécier.
Il y a aussi énormément de passivité de la part des personnages, tant les parents que les enfants. Chacun d'entre eux se révolte intérieurement de ce qui se passe, mais aucun n'agit vraiment : Cecily s'enferme dans sa chambre en attendant le retour de son fils, Abel boit pour noyer sa douleur mais ne résiste jamais, Jujube sert les dents face aux Japonais mais obéi en baissant la tête, Jasmin refuse de rester cachée pour la protéger.
Je suis ressortie de ma lecture sans émotion aucune avec une indifférence pour le destin des personnages et une histoire qui m'a laissée de marbre.
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C’est la guerre qui fait ça. Elle nous fait du mal.