Paris, 26 novembre 1974
Elle ne doit pas effrayer les hommes...
Elle a l'intelligence de les comprendre, de ne pas entrer en conflit avec eux...
Pas d'opinion subversive, harmonieuse, bien dans sa peau.
(toc toc)
- Oui !
- Madame la Ministre, le courrier est passé !
Hum... Ce sont pour la plupart des lettres d'insultes ! Dois-je les mettre aux archives ?
- Mettez-les à la poubelle, c'est leur place ! Nous avons d'autres chats à fouetter !
Ma revendication en tant que femme, c'est que ma différence soit prise en compte, que je ne sois pas contrainte de m'adapter au modèle masculin.
L’horreur a fait de moi une femme sensible et pudique, à la fois dure et réservée, véhémente et sereine…
Maintenant, je ne suis plus toute seule…
Pleurer sa mère, c’est pleurer son enfance.
Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame.
Assister avec impuissance à la fin lente et certaine de celle que nous chérissons plus que tout au monde est insupportable.
Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les 300 000 avortements qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays. L'histoire nous montre que les grands débats qui ont divisé un moment les français apparaissent avec le recul du temps comme une étape nécessaire à la formation d'un nouveau consensus social, qui s'inscrit dans la tradition de tolérance et de mesure de notre pays...
Je ne suis pas de ceux et de celles qui redoutent l'avenir.
Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu'elles diffèrent de nous ; nous les avons nous-mêmes élevées de façon différente de celle dont nous l'avons été. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d'enthousiasme et de sacrifices comme les autres. Sachons lui faire confiance pour conserver à la vie sa valeur suprême.
[Extrait du discours de Simone Veil, ministre de la Santé, présentant devant l’Assemblée nationale le projet de loi sur la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse le 26 novembre 1974]
J’ai le sentiment d’être la femme-alibi qui donne bonne conscience!
« Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame. » (p. 32)
Je ne sais pas par quelles ressources insoupçonnées j'arrive encore à tenir debout. Jacques Chirac [alors premier ministre] ne déborde pas d'enthousiasme dans la défense de mon projet de loi. « C'est une affaire de bonnes femmes ! » dit-il. Décidément, il a le sens de la formule...