Être parent c'est tenter de protéger un être autonome, relativement libre, le mettre en garde sans l'effrayer, l'entourer sans l'étouffer, l'accompagner sans s'imposer, arbitrer en permanence, en acceptant notre propre impuissance.
J'ai voulu un recueil dans lequel des femmes diraient ce qu'elles auraient voulu savoir sur les enfants avant d'en avoir à leur tour, ce qui les avait le plus étonnées, prises par surprise, sidérées dans cette expérience, ce qu'elles auraient aimé qu'on leur murmure au bon moment, ce qui leur paraissait le plus important, après coup, maintenant. La parentalité est un seuil qu'on ne franchit qu'une seule fois. On est soit dehors, soit à l'intérieur mais pour toujours.
(Julia Kerninon, p. 11)
Et en échange voilà ce qu'ils ont fait de moi : une imbécile heureuse.
Pour ne rien arranger, j'ai mis au monde deux filles.
Je sais déjà qu'elles seront agressées sexuellement. C'est une certitude statistique. Comme moi avant elles, comme toutes les femmes.
Nous ne sommes peut-être que la moitié de l'humanité, mais nous l'avons créée toute entière.
Nous n'utilisions pas les bons mots, les paroles de l'autre nous rendaient furieux.
《 Le boulot du capitalisme est de faire en sorte qu'on se sente incompétentes, nulles, et qu'on achète des trucs pour pallier nos prétendues défaillances, et il fait ça très bien. Il nous encule vigoureusement et il jouit tout seul - ça me rappelle quelqu'un. 》
Nous nous réveillons chaque matin tout barbouillés de lait et du sel de la vie : ce que nous traversons n'a pas d'explication. Ce que nous traversons nécessite seulement de se retourner parfois et de laisser à nos corps toute la place pour exprimer la gratitude. L. Browaeys
Avoir des enfants nous fait peur et nous rend fortes, nous égare et nous retrouve, nous empêche et nous autorise, nous pèse et nous grise, ne nous apprend rien sinon que tout restera toujours à apprendre. La maternité est une folie et une éducation, elle est un risque et une ambition, et comme tous les sujets importants elle mérite d'être servie par des récits, parce que ce sont les histoires que nous nous racontons qui fondent notre monde. En nous efforçant de faire entrer la maternité en littérature, nous lui donnons, j'espère, la place qu'elle mérite aussi dans la réalité. Nos peurs, nos réflexions, nos déchirures ont droit de cité au sein des livres. Nous ne sommes peut-être que la moitié de l'humanité, mais nous l'avons créée toute entière.
Parfois je voudrais écrire un livre dans lequel j'insérerais les interruptions de mes enfants. Je voudrais montrer une page de prose cisaillée par leurs réveils, les moments où je dois me suspendre au milieu d'une phrase [...].
(Julia Kerninon, p. 14)