1ère lecture de l'année, commencée l'année précédente, qui n'a rien d'un accident en fait.
Le départ pour Taiwan a été un acte fondateur dans la vie de Mademoiselle. Tous les chemins vaguement envisagés auparavant ont été écartés. Puis après d'autres voyages ont suivi, mais ce qui a subsisté, c'est le goût pour la perte de repères, voire d'être totalement illettrée, et de devoir tout recréer, un nouveau rapport au monde et aux autres.
Alors les mots de l'autrice ont trouvé un écho dans une foule de souvenirs et sur les sentiments suscités par chacun des voyages.
« Ce territoire inconnu, lointain, ténébreux, qui se révèle simplement parce que nos repères autour de nous se sont éteints, parce que l'on se retrouve dépossédé de toute trace de soi, de toute empreinte, de toute piste à suivre, ce territoire c'est celui que l'on cherche à rejoindre lorsque l'on se met en mouvement ».
C'est une lecture vivifiante autant sur les femmes et le voyage, la littérature de voyage, l'émancipation des femmes, et les représentations que l'on peut en avoir.
L'auteur déconstruit le récit de voyage trop souvent évalué à l'aune du regard masculin et la disqualification de la femme en voyage. Alors que les récits de ces dernières, lorsqu'ils nous parviennent (!) revêtent en majorité un regard avec une autre sensibilité, marquée par une plus grande ouverture car il ne cherche pas à dominer. l''ouvrage regorge d'exemples variés sur le vocable utilisé par des voyageurs pour décrire les lieux et ses habitants totalement objectivés, on est dans la conquête, avec les femmes, dans la découverte de l'altérité. Et de fait dès les débuts, voyager pour les femmes est un véritable acte d'émancipation, même aujourd'hui selon les lieux, cela peut être vu comme une provocation, ou peuvent se poser des questions que les hommes n'auront jamais à envisager.
Je goûte très peu la littérature de voyage, en dehors d'
Ella Maillart et
Alexandra David-Neel, mais la riche bibliographie de l'ouvrage va me permettre d'y remédier je pense, et il y a de nombreux essais très séduisants dont « Flâneuse » de
Lauren Elkin qui met en perspective l'occupation de l'espace urbain par la femme.
De très nombreuses thématiques sont abordées par l'auteur et mériteraient de plus amples développements. Je reviens sur deux derniers points :
- la question de la « trahison de l'imaginaire ». Avec le voyage on met en effet un terme au fantasme et on va à la rencontre de l'autre « partir vers un lieu c'est l'abaisser à la réalité ». Je ne conseillerai jamais à personne de partir en vacances en Chine populaire par exemple, j'ai adoré, mais tous ceux ayant en tête de rencontrer la Chine éternelle serait très déçus. La réalité néanmoins est bien plus intéressante.
- le parallèle entre littérature et voyage, moi qui suis si friande de construire chaque fois une bibliographie très subjective avant et pendant le voyage :« on peut arpenter nuit et jour une ville étrangère, elle nous échappera toujours si l'on n'écoute pas régulièrement les murmures des livres qui y sont nés ». Ce n'est pas déflorer la découverte mais commencer à l'envisager avec d'autres mots.
Enfin finir avec les mots de l'auteur sur l'importance de ne pas « perdre de vue les territoires que l'on voulait conquérir enfant » et d'être prêt à se recréer à l'infini en « volant en éclat » pour être soi.