Le Bonheur.
Il est ou, le bonheur, il est ou?
Il se promene sur les plages de Gijon, en mer Cantabrique (c'est son nom en Espagne. En France on l'appelle aussi mer de Biscaye?): “Mais ce qu'il y avait de mieux c'etait le bain de l'apres-midi, quand le soleil declinait, qu'il etait grand et de plus en plus rouge, et que la mer etait verte d'abord, puis d'un vert plus sombre, et puis bleue, et puis indigo, et puis presque noire. L'eau etait chaude, chaude, et des bancs de tout petits poisons nageaient entre les algues rougeatres”.
Il se cache dans le jardin de la tante Honorina, a l'heure des repas: “Et les ronds de lumiere – les grands poursuivant les petits – couraient sur la nappe pleine de taches violettes de vin, pleine de miettes [...] et les hommes avaient la figure et les joues et le nez brillants”.
Meme la nuit peut etre porteuse de bonheur: “C'etait la grande bataille de Verdun, une bataille sauvage, archimysterieuse. Il fallait entrer dans la chambre des filles en balancant des coups de polochon...”.
Le bonheur c'est l'ete. L'ete de l'enfance insouciante et heureuse. Et surtout le deuxieme ete. Quand l'homme qui se rememore ces instants de bonheur est devenu adolescent et connait son premier amour, lumineux et etincelant comme la plage, comme le bon cidre dore qu'on deguste et qui rafraichit. Lumineux comme des peintures de Sorolla, ces meveilleux tableaux de plage ou les bleus et les verts de la mer s'illuminent par le scintillement de l'ecume, des vagues langoureuses; ou s'epanouissent les cuivres et l'or des corps des enfants, et en contrepoint les blancs eblouissants des robes des dames. le bonheur est lumineux.
Entre ces deux etes il y a l'hiver. En hiver le diable attaque. La chair est faible et cause de lourds problemes de conscience. Mais meme l'hiver finit en apaisement, aux sons de l'orgue d'un moine caritatif dans une chapelle d'internat.
Il est ou, le bonheur, il est ou?
Il est, pour le lecteur, dans la douceur des mots d'Ayesta. Dans ses pages, ou tout y est ordre et beaute.
Certains l'ont attaque pour cela. Chanter l'ordre et la beaute d'une enfance bourgeoise a la veille de la guerre civile? Chanter l'innocence dans un monde qui l'a perdu depuis longtemps? Chanter les merveilles d'un pays de soleil alors que la misère y est beaucoup plus penible qu'ailleurs? Mais Ayesta n'en a eu cure. C'est un oiseau bizarre, singulier, atypique, dans les lettres espagnoles. C'est son unique roman, et il est tout mince. Publie en 1952, il ne fut pas tres bien recu a l'epoque puis a ete oublie jusqu'a sa reedition, de nos jours, quand on s'est enfin plu a feter sa prose. Ayesta lui-meme est atypique: phalangiste dans sa jeunesse, il s'est plus tard oppose a Franco et sa carriere diplomatique en a pati. de cela non plus Ayesta n'en a eu cure.
En fait il nous a laisse un bel exercice de style. de petits tableaux impressionnistes pleins de lumiere, de couleurs, d'odeurs et de saveurs. Une debauche de sensations. C'est tres bucolique. Enchanteur. 70 ans apres sa publication, ce livre n'a pas vieilli. Il reste un livre-enfant, ravissant, ensorcelant. On ne peut que se laisser seduire.
Il est ou, le bonheur, il est ou?
Il est la, le bonheur, il est la. Venez faire naugrage sur cette plage ensoleillee. C'est bientot l'hiver? Venez quand meme faire naufrage sur cette plage desertee.
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un court poème en prose.
L' auteur raconte ses souvenirs d' enfance, à Gijon, dans les Asturies. Mémoire éparpillée où, à chaque page, éclatent les couleurs, couleurs bleues et vertes de l' été, au bord de la mer, couleurs grises et sombres de l' hiver, dans les couloirs glacials d. un collège, couleurs rouges et or de l' amour , dans la chaleur d' un printemps d' adolescent.
Le style est vif et percutant, l' écriture cinématographique.
Un tableau aux tons chauds où l' ambiance espagnole affleure à chaque page.
Une agréable lecture mais, pour moi, pas le chef-d'oeuvre encensé par les critiques.
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Nous étions ensemble, seuls, dans le silence du crépuscule. Nous étions seuls dans le silence du monde. Seuls dans le silence du temps. Seuls à jamais. Ensemble et seuls, cheminant ensemble et seuls dans le silence du monde et de la mer et du monde, cheminant, cheminant. Tout était comme une grande arcade, et nous la franchissions, de l'autre côté était notre monde et notre temps et notre soleil et notre lumière et notre nuit et des étoiles et des montagnes et des oiseaux et toujours...
Mais ce qu'il y avait de mieux c'était le bain de l'après-midi, quand le soleil déclinait, qu'il était grand et de plus en plus rouge, et que la mer était verte d'abord, puis d'un vert plus sombre, et puis bleue, et puis indigo, et puis presque noire. L'eau était chaude, chaude, et des bancs de tout petits poissons nageaient entre les algues rougeâtres.
Et voilà qu'apparaissait une Hawaïenne toute nue, rien qu'avec un collier de grandes fleurs blanches aussi sur la tête et de chaque côté du front, les dents très blanches, extraordinairement blanches, souriante, le corps dur et brillant, et sans rien dire, pas un mot, rien que souriant, elle s'allongeait près de vous, et vous vous contentiez de lui caresser les cheveux.
La salle à manger était dans la pénombre et, de l'obscurité, on entendait les cigales et les grillons qui chantaient au soleil, et le ronron du soleil sur les prairies vert-jaune et la rumeur si fraîche des chênes lorsque soufflait une rafale de brise bleue et salée qui venait de la mer.
L'air est plein de fils d'araignées extrêmement fins, à chaque pas il faut les écarter du visage. Mais, malgré tout, le bois est une pure merveille. Dans les rais de lumière qui se glissent entre les chênes montent et descendent des milliers d'insectes brillants, bleus et verts...