« Poor lonesome ranger » saisonnier dans le parc de Arches National Monument (sud-est de l'Utah),
Edward Abbey relate son expérience au milieu de cette nature désertique et sauvage dans les années 1950. Dans son avant-propos, il explique sa manière de voir la nature et ce qu'elle est devenue : « Ce livre n'est pas un guide de voyage ; c'est une élégie, un tombeau. Ce que vous tenez entre les mains est une stèle ».
Un hommage vibrant au rêve de paysage mythique enfoui en tout homme.
Les Arches, c'est une terre rouge et rocailleuse aux paysages morphologiques changeants et spectaculaires où ont été tournés beaucoup de westerns. Un peu comme Monument Valley en bordure de l'Arizona et de l‘Utah.
L'idée que l'on se fait habituellement du désert est qu'il n'y a pas de vie, que rien ne s'y passe, qu'il n'y a que des étendues et des ciels à perte de vue, d'une beauté à couper le souffle, où l'air provoque des ondes de chaleur aux images déformantes. Austérité et nudité.
Or, dans ce récit, à l'écriture somptueuse traduite dans le plus grand respect de la pensée de l'auteur, la vie grouille partout : cerfs, coyotes, lynx, corbeaux, vautours, scorpions, moustiques et parfois aussi, de rares randonneurs bruyants. le genévrier, le frêne et la sauge des sables, toutes sortes de plantes à feuilles rudimentaires, trouvent à survivre sur cette terre aride aux multiples minéraux et métaux rares. Les Indiens Utes et Navajos ont aussi vécu dans ces canyons insondables il y a très, très longtemps.
Le récit de ce Lucky Luke américain, idéaliste pur et dur, est une ode à la vie sauvage, à la splendeur du paysage, à la perfection du silence. Même terriblement bien écrites, 334 pages de descriptions pourraient finir par lasser, mais il n'en est rien. Abbey parsème son amour de l'écologie dans les histoires de ses rencontres avec des cow-boys, ses bivouacs occasionnels avec des ranchers, sa détermination à ramener un cheval redevenu sauvage (chapitre magnifique). Il est aussi ponctué de ses coups de gueule contre les « progrès » de la civilisation, notamment la construction d'une route qui pourra déverser des voitures, sans interruption, à travers l'espace rocheux et réduire ainsi la liberté et les secrets de la nature.
En 1967,
Edward Abbey revient dans ce parc qu'il a sillonné inlassablement, des saisons durant, à cheval, à pied, en rampant, en s'écorchant aux épineux, en sondant des failles de roches abruptes, et sa rage de voir ce que le gouvernement et les investisseurs ont fait de la « sauvagerie du monde » le pousse à témoigner de ce qu'était ce paradis perdu quelques années auparavant.
L'écriture très riche et précise de cet homme cultivé ne se limite pas à ce qu'il voit ou ressent au contact de cette « wilderness », elle interroge, elle se réfère à la poésie et à la musique, elle fait des parallèles entre civilisation et culture, par exemple, qui donnent des paragraphes étonnants : « La civilisation est la force vitale de l'histoire humaine ; la culture est cette masse inerte d'institutions et d'organisations qui s'accumulent et deviennent un fardeau pour le progrès de la vie… La civilisation, c'est la tolérance, la distance et l'humour, ou la passion, la colère, la vengeance ; la culture, c'est l'examen de passage, la chambre à gaz, la thèse d'Etat et la chaise électrique…La civilisation, c'est la rivière sauvage ; la culture, cinq cent quatre-vingt-douze mille tonnes de ciment… ».
Une élégie peut-être mais qui draine alors une envie de découvrir ce qu'est l'Eden pour quelques-uns et de revoir « Les Comancheros » ou une certaine « Mission impossible » pour d'autres.
Edward Abbey est mort en 1989 et a été enterré dans un coin des Arches par son ami,
Doug Peacock, qui signe la préface de ce
Désert solitaire.