Rebonjour tout le monde, je soumets mon texte.
Trivial
Mlle Nôme, étudiante, fronçait un rigoureux sourcil sur ses problèmes de maths. Elle achevait un poly que son prof lui avait donné (pour bien démarrer l'année). Evidemment il avait dit : "voici un vous, Polly." Haha oui, elle s'appelait Polly Nôme. Apparemment son nom, déjà jeu de mot, ne suffisait pas au prof, il fallait qu'il en rajoute. Enfin, elle concluait la feuille. Tali, sa petite sœur, dessinait des ronds et des carrés (c'était là son travail), car elle était en Moyenne Section de maternelle. L'avant veille Tali avait demandé : c'est quoi un rond ? D'accord, je sais ce que c'est, mais c'est quoi l'idée d'un rond ? Polly avait souri, lui avait montré sa machine à rond, un compas, et lui avait expliqué l'ensemble de points à la même distance d'un autre point. La veille, elle avait demandé : l'infini moins l'infini, ça fait combien ? Polly avait froncé les sourcils : comment expliquer les formes indéterminées à sa sœur de quatre ans ? Elle avait finalement tenté, sans trop savoir si l'explication avait germé ou le ferait dans quelques années. Ce jour-là, jamais deux sans trois, Tali posa la nouvelle question : 1+1 ? Quelle déconfiture ! Polly était furieuse. "Trivial". Et elle claqua la porte.
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Trivial. Un ballon tri-colore a trois couleurs, un trident a trois dents, la maîtresse avait dit que tri voulait dire trois, alors pourquoi trivial voulait dire deux ? Polly, la grande sœur, avait dû faire une erreur de calcul. Mais non. Quand on est dans une école à cinq syllabes, U-ni-ver-si-té, on ne fait pas d'erreur. On sait presque tout et après le Diplôme, on sait tout. Donc Polly n'a pas fait d'erreur.
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"Des synonymes", dit la maîtresse. Bicyclette et vélo en sont un exemple. C'était donc ça ! se dit Tali, et une ampoule s'éclaira au dessus de sa tête. "Deux" et "trivial" étaient donc des synonymes, c'est-à-dire deux mots qui voulaient dire la même chose.
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"Un cheval, des chevaux", dit la maîtresse. Alors Tali comprit une nouvelle chose. On disait "triviaux". Par exemple, ses yeux étaient triviaux. Avec Simon, son Namoureux, ils étaient triviaux. Polly et Tali sont triviaux.
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Plus tard, Tali alla au collège et au lycée. Polly fut vite ridée du front à force de froncer les sourcils. Elle fut si ridée qu'elle devint docteure avec une thèse sur des questions de topologie. Et Polly comprit. Sa soeur avait cru toute sa scolarité que "trivialité" était synonyme de "dualité", et trivial de "deux". Alors elle décida de la laisser mariner un peu. Polly avait épousé Simon (le mari de Polly portait le même prénom que le namoureux de Tali en maternelle) et faisait une grossesse gémellaire. Et naturellement, elle dit à sa sœur cadette que sa grossesse était une trivialité. Et puis Tali lut qu'en breton, il y avait le singulier, le pluriel et le trivial (au lieu du duel). Elle expliqua que le Double de Dostoïevski était une œuvre sur la trivialité.
Le jour de ses dix huit ans, elle fut prise à part par Polly qui lui expliqua la méprise. Alors Tali éclata de rire. Elle s'était trompée tout ce temps !
-Qu'est ce que c'est bête, quand même.
-C'est même trivial !
-Haha Polly Nôme, vraiment c'est débile."
Les deux sœurs rirent un bon coup, puis Tali passa à autre chose.