J’ai arrosé chaque plante avec précision, en gardant un œil sur les buis. Le petit pion d’échecs ne m’a pas semblé parfaitement rond. Après avoir rangé le tuyau, j’ai décroché les ciseaux du mur et j’ai tranché l’extrémité d’une feuille qui dépassait.
Pour monter jusqu'au troisième étage et atteindre le studio 334, les ascenseurs offrent la méthode la plus simple. Trois cabines, portes automatiques en alu brossé, quasi désertes entre minuit et 5 heures du matin, les heures creuses du camembert, quand les vigiles sont partis en bouclant derrière eux.
Les escaliers sont plus discrets encore.
Les bruits de la ville n'arrivent pas jusqu'ici. Les bureaux sont vides, la plupart plongés dans l'obscurité. Tout baigne dans la luminosité spectrale des veilleuses le long du couloir. On avance en se repérant aux numéros sur les portes. Si on se trompe, il n'est pas rare qu'on se tape un tour complet du camembert. Exercice courant chez les nouveaux venus. À force de déambuler dans ces couloirs circulaires on perd ses repères. On tourne. On marche. On tourne. Certains visiteurs décrivent plusieurs circonférences avant d'atterrir dans le bon bureau.
A l'époque des amours, la plupart des oiseaux exécutent des arabesques dans le ciel pour impressionner les femelles. En plus de la beauté de leur plumage et de leur chant, ils rivalisent d'acrobaties aériennes.
Les colibris à gorge orange montent jusqu'à quarante mètres et plongent en piqué tout en émettant un chant spécifique à chacun. Les spécialistes qui se sont penchés sur le sujet ont découvert que le chant de séduction du colibri à gorge orange provient de ses plumes : le frottement de l'air produit une mélodie.
Le gros Georges pourtant a cassé l'ambiance. Quand il a tendu son index boudiné au grand éclectus. (Le même réflexe que la secrétaire, mais moins judicieux: pas dans la même cage !)
Sans doute appâté par cette chair plantureuse qui le
changeait de l'éternel os de seiche, le pe rroquet a crocheté d'un coup de bec rapide l'index georgien.
Surpris, blessé (dans son orgueil plus que dans son doigt), Georges a retiré in extremis l'objet du désir d'entre les barreaux. Il se le suçait encore en reprenant ses travaux de policier scientifique, vexé, en jetant par intermittence un œil vengeur vers la cage.
D'après Sarclet, le vétérinaire avait reçu trois balles
dans la poitrine.
Quand il pleut sur les lacs ça fait des brisures aux sonorités conservées par les montagnes où volent des choucas dans leur épaisseur de gouttes et de plumes collées.
"Vous en concluez que le poison a été introduit dans le gâteau. C'est ça ?" Je ne trouvais pas la force de lui avouer que là non plus, aucune trace de cyanure n'avait été décelée dans les miettes du framboisier. Elle ne m'en a pas laissé le temps, de toute façon. "Un gâteau qui a été partagé en quatre par la victime elle-même ? Laissez-moi rire, mon petit Yann !" Je l'ai laissée. Trois petits gloussements. Puis elle a dit : "Moi je sais comment on l'a empoisonné, ce violoniste !"
Les matins de décembre ne tremblent pas, ils sont froids et le lac y était beaucoup plus solitaire que partout ailleurs dans l'année.
Au milieu de la nuit, la Maison de la radio ressemble à une bête enroulée dans son sommeil. Construite en rond autour d'une tour centrale, son architecture, signée Henry Bernard, fut à l'époque jugée révolutionnaire et a fait grincer bien des dents. Inaugurée en 1963 par le général de Gaulle, la gouaille moqueuse des Parisiens l'a tout de suite surnommée le «camembert». Sur la façade périphérique du camembert, seules de rares lueurs subsistent que les automobilistes aperçoivent en longeant l'avenue Kennedy. Elles proviennent des bureaux qu'on a oublié d'éteindre et de la lampe, au troisième étage, du studio où se déroule l'émission Rosalie de nuit.
Rosalie venait de raccrocher sur la voix d'un homme essoufflé. Ça arrivait souvent ; le trac, la gêne. Il lui avait parlé de lui, de son enfance, de ses échecs professionnels et de ses amours déçues. Rosalie ôtait délicatement son casque pour ne pas se décoiffer. De l'autre côté de la vitre son assistante rassemblait ses fiches. Elle ne prendrait plus d'appel d'auditeur, le technicien venait de lancer la dernière plage musicale. C'était bientôt la fin.
Elle était entrée une heure auparavant par la porte B, comme chaque nuit, la porte qui donne sur la rue de Boulainvilliers et qui mène aux bureaux de France Info, France Culture et à certains studios de France Inter.
Outre l'entrée principale A que franchit le personnel administratif, plusieurs portes sont disséminées tout autour du «camembert». Elles sont répertoriées de B à F dans le sens des aiguilles d'une montre et permettent l'accès direct aux locaux des différentes stations : France Inter, France Culture, France Musique, France Bleu et France Info, Fip et le Mouv'.
Rosalie avait adressé un petit bonjour au vigile en passant. À cette heure-là il était en faction pour quelques minutes encore, il bouclerait à minuit.
Elle aimait l'eau.
Pas celle de la pluie : celle des piscines.
Elle y nageait. Une façon d'apprendre à respirer pour le théâtre. Elle récitait de longues tirades pour travailler son souffle. Les baigneurs la regardaient soliloquer au ras de la surface, prendre sa respiration à fleur de vague et débiter son texte en gros bouillons.
Arrivé devant la porte du studio 334 on y colle son oreille pour essayer de percevoir les voix. On entend celle de Rosalie qui dialogue avec ses auditeurs. Une voix reconnaissable entre toutes: son rythme, sa couleur. On attend que l’émission s’achève, que Rosalie sorte.