Depuis mon enfance, aucune légende ne s'est vérifiée, aucun fantasme masculin ne s’est concrétisé. Je me suis défaussée au dernier moment d'un mariage arrangé, désertant déjà, préférant sauter d'une division à une autre. Au bout du compte, je sais bien que je suis toujours restée en rade au bout du monde. Parce que je suis une femme puissante comme un officier sans troupes, qui a assis sa notabilité sur un vide assourdissant comme s'il suffisait de créer de toutes pièces ses propres reliques pour devenir le Christ.
![](https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/51Fp4GsfJFL._SX95_.jpg)
David Drogueron semble apprécier ma relance. Il se sent ragaillardi :
-Le Brexit est le point d’orgue, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Tout a commencé par la crise des subprimes entraînant de sérieuses difficultés économiques dans les pays les plus touchés par la spéculation immobilière et financière. C’est la première séquence. Après une légère embellie en 2011, il y a eu la rechute, en particulier en France. De nouvelles tensions sont apparues et ont culminé avec la sinistre guerre en Syrie : le terrorisme, l’exode massif, l’incapacité de l’Union européenne et en particulier de la Grèce à maîtriser les flux... Tout ça a commencé à faire beaucoup. Mais contre toute attente, c’est de l’Angleterre, à l’économie pourtant florissante, que sont venus les plus gros bouleversements. Exaspéré par la bureaucratie tatillonne de Bruxelles et peut-être en mal d’électeurs, le Premier ministre a lancé cette idée invraisemblable d’un référendum sur la sortie de l’Europe. Le Brexit...
Mon corps réclame les soins d'usage : de l'eau, à manger, une bouffée d'air, un peu de chaleur, mais mon esprit se sent bien curieusement, comme à l'abri de la guerre. Comme si le temps d'un sommeil de plomb, la jeune soldate avait oublié jusqu'au son du canon.
Ils nous poussaient à la lâcheté, à piller, à achever parfois des civils qui n'avaient pas le temps de s'enfuir ou parce qu'ils restaient attachés à leur terre que plus personne ne défendait...
A travers la Russie, il est dit que ce sont les Indes qu'il plairait à l'Empereur de conquérir. Pour mieux affaiblir l'ennemi anglais…
Avec ses nains, ses sœurs siamoises, sa femme à barbe, toutes ces bêtes humaines curieuses, son Hercules et autre Vénus transfigurés... D'aucuns préféreront Elephant man de David Lynch. A force de fouiner dans nos lointaines archives et de revisiter nos vies, j'en suis venue à croire que le procédé est le même. Je sais, c'est absurde. Vous voulez comprendre les choses se sont réellement déroulées. Mais c'est pour soulager votre frustration de vivants.
Échapper au statut de témoin de son temps, se laisser tenter par sa petite folie intérieure, reconnaissons que c'est un jeu dangereux. Si tout le monde joue ce jeu-là, que se passe-t-il ? On ne saura pas dans quel sens la société partira. Moi, de mon vivant, j'aimais déjà l'idée de devoir considérer que la société se trompe de se croire la somme des vivants et à trop tendance à catégoriser.
La plupart des guerres se fonde sur ce jeu de bascule. Peut-on se fier à mon récit, moi qui ai participé à la campagne de Russie de la plus folle manière et qui suis une femme ? Qui va extraire mes lettres du caveau ? Si elles tombent un jour entre les mains d'un historien, il devra s’atteler à faire la part des choses avant de considérer, oui ou non, mon récit comme un digne témoignage.
On appelle cela la confiance ou la foi. C'est une illusion de protection qui ne nous affranchit de rien seulement de la peur...