Pendant ce temps et sous cette culture apparente, s'active le grand système commercial, pierre angulaire de cette société, que les gens cultivés croient être à leur service mais qui en réalité les domine et détruit les rapports sociaux. Car ce système est par essence une guerre, et seule sa mort le changera; cette guerre, homme contre homme, classe contre classe, dont la devise est : "Ce que je gagne, tu le perds", durera jusqu'au grand bouleversement dont le but final est la paix.
J'affirme à présent, sans ambages, que le but des arts appliqués aux articles utilitaires est double : premièrement, ajouter de la beauté aux résultats du travail de l'homme qui, le cas échéant, serait laid ; et deuxièmement, ajouter du plaisir au travail lui-même qui sinon serait fastidieux et rebutant. Si tel est le cas, nous devons cesser de nous étonner que l'homme se soit toujours efforcé d'ornementer le travail de ses mains, qu'il ait besoin d'avoir autour de lui chaque jour et chaque heure, ou bien qu'il se soit toujours efforcé de transformer les affres de son labeur en plaisir quand cela lui semblait possible.
"L'Art et l'Artisanat d'Aujourd'hui"
N'aie rien chez toi que tu ne saches utile ou que tu croies beau
Couverte de la rouge sève
Sont poupe et proue de ce bateau
Alors bondis ! Que tu te lèves !
Va te promener sur les eaux !
Parcours le lac ainsi que le veut le passant
Car son autorité fut marquée par son sang !
(Incantation magique pour contrôler la nef magique de la sorcière)
Bien entendu, vous comprendrez que quand je parle des œuvres de l'homme, je n'oublie pas qu'il en est certaines, absolument nécessaires, auxquelles il ne peut appliquer l'art au sens où nous l’entendons, mais cela signifie simplement que la nature lui a retiré des mains son aptitude à les embellir. Dans la plupart des cas, les procédés sont beaux en soi, pour peu que notre bêtise n'y ait pas ajouté peine et tourment. Ce que je veux dire, c'est que la barque qui glisse sur les ondes, le soc de la charrue qui dessine le sillon pour la récolte de l'année suivante, l'andain de juin, les copeaux qui tombent du rabot du charpentier : toutes ces choses sont belles en soi et ces activités seraient même agréables si l'homme, y compris en ces derniers temps de la civilisation, n'avait pas eu la bêtise de déclarer plus ou moins que ces travaux (sans lesquels nous mourrions en l'espace de quelques jours) incombent aux esclaves et aux crève-la-faim, tandis que le travail de destruction, de lutte et de confusion incombe à la crème de l'humanité, aux gens d'esprit.
S'ils le pouvaient, ces gens-là débarrasseraient les rues des marchands ambulants, des joueurs d'orgue de Barbarie, des défilés et conférenciers de tous acabits, pour les transformer en couloirs de prison respectables, où le peuple passerait péniblement pour aller au travail et en revenir.
Voyons maintenant ce que pourrait être dans l'avenir l'enseignement, aujourd'hui totalement soumis au commerce et à la politique. Personne n'est éduqué pour devenir un homme, mais certains le sont pour détenir la propriété et d'autres pour la servir.
Je crois que je m’estimerai fort heureuse si, en mes vieux jours, j’éprouve pour mes semblables autant d’amour que j’en ressens aujourd’hui pour ces arbres et les animaux dont ils sont le refuge.
Quelle amélioration morale peut-on attendre des peuples en stimulant leur patriotisme, c'est-à-dire en flattant des préjugés imbéciles et en excitant des jalousies hargneuse ?
On prenait un aventurier hardi, sans principes, ignorant (il n'était pas difficile à trouver à l'époque de la concurrence), et on l'invitait à "créer un marché" en brisant tout ce qu'il pouvait y avoir de traditions sociales dans le pays condamné, en y détruisant à loisir tout ce qui lui plairait. Il forçait les indigènes à recevoir des produits dont ils n'avaient pas besoin et s'emparait de leurs produits naturels en "échange" --c'était le nom de cette sorte de vol,-- et, par là il "créait de nouveaux besoins", et pour y suffire (c'est-à-dire pour que leurs nouveaux maîtres leur permissent de vivre), les malheureux, impuissants, étaient obligés de se vendre et se soumettre à l'esclavage de l'écrasant travail sans espoir, afin d'avoir de quoi acheter les inutilités de la "civilisation".