L’escorte de Monchalin se disloqua, laissant son champion isolé. L’énorme Monchalin fit encore un pas, en même temps que l’écaille de sa peau faisait se tourner ses yeux jaunes sur Béresse.
Deux animaux non répertoriés se trouvaient face à face : c’était les Galapagos. Mais il n’y avait pas de danger immédiat : ces deux espèces ne frappaient que dans le dos.
D’ailleurs, Béresse s’approchant de Monchalin lui tendit la main. Lequel, d’un pas lourd, avança et donna à son tour la sienne. Ils étaient maintenant l’un contre l’autre. Ils se parlaient à l’oreille. Ils étaient amis en réalité ?
Comme pour de nombreux musulmans, la religion reste souvent au cœur de toute philosophie politique, a fortiori pour un lettré arabe, un faqih, qui tire sa légitimité de la connaissance des textes sacrés. Politiquement toujours, et même si Abdelkrim s’en est défendu par la suite, c’est bien au nom du djihad, de la guerre sainte, qu’il soulève les tribus limitrophes du Rif et qu’il menace celles qui restent soumises aux Français et à « la scélérate tourbe christianisée ». Ainsi, dans une lettre du 13 novembre 1925 adressée aux caïds de l’anti-Atlas, il met en garde : « Les musulmans forment comme un seul corps à chaque fois qu’ils s’accordent et s’entraident […]. Si vous vous abstenez de participer à la guerre sainte et manquez à vos obligations, vous aurez à en répondre devant Allah et devant vos frères qui combattent pour la foi. » Le même jour, il s’adresse au caïd Ben el-Bachir et l’invite de façon comminatoire à choisir son camp contre les infidèles : « Il nous sera possible d’établir dans ce pays un gouvernement islamique à l’ombre duquel nous ferons revivre d’une façon parfaite les préceptes de notre religion. C’est le but suprême vers lequel tend notre guerre sainte. » (p. 292)
Pétain a donc gagné. Lyautey a perdu. Commentant en 1929, l'élection de son ennemi intime à l'Académie française, le vice-roi déchu du Maroc aurait dit à Maurice Rostand, auteur de L'Homme que j'ai tué : "Bien sûr qu'il est immortel. Il n'a pas de cœur. Il n'a pas de foi. Il n'a pas d'âme. De quoi veux-tu qu'il crève ?."
Les Fassis craignaient l'arrivée des montagnards. Un notable de Fez serait même venue voir le général de Chambrun pour lui demander s'il était vrai que sa femme était rentrée en France. Ce n'était pas le cas. Il serait bien alors qu'on la voie un peu se promener au souk. Ce serait un signe. Au Maroc plus qu'ailleurs, la guerre se nourrit de symboles.