Tal Madesta vous présente son ouvrage "
La fin des monstres : récit d'une trajectoire trans" aux éditions La Déferlante.
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Note de musique : © mollat
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Ma tête est devenue la tour de contrôle de ma vie entière. Je n’avais plus besoin de corps.
p.99.
C'est ce que m'a rapporté Mila, qui vit avec son partenaire et ses ami-es proches : " J'ai subi le modèle familial classique. J'ai été éduquée dans la violence et la toxicité. J'ai énormément de mal à me dire que le schéma traditionnel peut être épanouissant. "
p.29.
- pardonnez mon sarcasme - dans quel monde vivent les gens qui parviennent à baiser de façon satisfaisante, lorsqu'un-e Français-e sur dix a vécu l'inceste, lorsque plus de 200 000 femmes sont victimes de violences conjugales chaque année, lorsque 67 viols sont commis en moyenne chaque jour en France ?
Comment faire d'un lieu de violences présentes ou passées un espace où l'horizon du plaisir et du lâcher-prise est rendu possible ?
Autrement dit, on ne pourra pas comprendre la manière dont fonctionne cette obligation à la sexualité sans nommer l'éléphant dans la pièce : le régime politique hétérosexuel. Ce concept, développé entre autres par la militante et autrice Monique Wittig, désigne le fait que l'hétérosexualité n'est pas une simple orientation sexuelle, mais un système économique, culturel et idéologique qui sert d'outil aux hommes pour exploiter les femmes à large échelle. [...] L'hétérosexualité est alors ce qui permet de rendre ce système acceptable, en le présentant comme naturel, puisqu'elle assure la division arbitraire de la société en deux classes supposément complémentaires (les hommes et les femmes). Présenter quelque chose comme naturel revient à dire que cette chose est incontestable. Pourtant, différencier l'humanité en deux classes de sexe distinctes n'a rien d'inné. En réalité, et c'est ce que défendent Monique Wittig et d'autres chercheureuses après elle, ces catégories ne préexisteraient pas au système hétérosexuel : au contraire, c'est l'hétérosexualité qui distinguerait les personnes en deux catégories, c'est l'hétérosexualité qui créerait les hommes et les femmes, parce que ce régime politique a besoin de ces catégories pour justifier l'exploitation de l'une par l'autre. Une exploitation évidemment nécessaire à l'économie capitaliste, laquelle a tout intérêt à tirer profit du travail gratuit de la moitié de l'humanité.
Le sexe ne parle pas que de lui-même : il se trouve enchevêtré au cœur de dynamiques ambivalentes qui disent beaucoup de choses sur nos sociétés, sur les structures de pouvoir qui les régissent, les dominations qu'elles produisent, la manière dont cela marque nos corps.
L'homo oeconomicus est une figure qui chercherait constamment une rationalisation de ses besoins et une optimisation de ses ressources afin de maximiser sa satisfaction. La version sexualisée de cet homo oeconomicus serait ainsi prise dans une boucle optimale et infinie entre la satisfaction de son désir immédiat via la consommation, et la réitération perpétuelle de ce désir impossible à assouvir durablement. On voit bien dans ce schéma que la consommation n'est qu'une leurre, un écran de fumée ne visant pas la satisfaction en soi du besoin. La stimulation continue que ce besoin génère devient une fin en soi, ce qui renvoie à des mécanismes similaires à ceux de l'addiction.
p.50.
Ce système économique permet donc la création d'un nouveau marché fructueux qui promet de répondre aux besoins des individus, tout en assurant son enrichissement grâce à l'échec de ces mêmes individus à se conformer à ce nouvel idéal.
Il se passe très peu de temps entre le moment où je m'autorise cette confidence et celui où j'avoue mon secret. Je n'existe qu'à travers les yeux des autres, et ne pas leur dire empêche cette nouvelle réalité d'exister concrètement.
Nous sommes cerné-es de tous les côtés par une image émancipatrice de la sexualité, forcément désirable, et par l'idée que la non-conformité à cette norme est pathologique.
Si toutes les familles réagissaient à la hauteur de la grand-mère, nous serions moins contraint-es de créer d'autres foyers ailleurs. Faire le deuil de nos proches car on aspire à être quelqu'un d'autre est un premier brasier, un baptême mortel. Celles et ceux qui restent ne réalisent pas qu'ils et elles tiennent la main de funambules. Si toutes les familles réagissaient à la hauteur de ma grand-mère, il y aurait infiniment moins de suicides dans nos rangs.