Alors que la candidature de Donald Trump inquiète une partie de l'Amérique d'un retour du conservatisme au pouvoir, la question des droits civiques revient sur le devant de la scène. le journaliste et écrivain Ta-Nehisi Coates nous partage son expérience des inégalités raciales outre-Atlantique.
Pour en parler, Guillaume Erner reçoit Ta-Nehisi Coates, écrivain et journaliste américain.
Photo de la vignette : Bennett Raglin / GETTY
#politique #etatsunis #droit
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« N'oublie jamais que nous avons été esclaves dans ce pays plus longtemps que nous n'avons été libres"
"C’est mon instinct de cow-boy qui réagit le premier, la pensée que, en dépit de ma maladresse et de mes lunettes recollées, du sang rebelle coulait dans mes veines, et cette idée m’emplit d’une fierté stupide et enfantine. Tout le monde a besoin de mythes. Et ici, dans le Far West de Baltimore où nous avions perdu la foi, où régnait la loi barbare, quelle serait notre magie? Quels seraient les mots sacrés?" (p.126-127)
Célébrer la liberté et la démocratie tout en oubliant que l’Amérique prend ses origines dans l’économie de l’esclavage, c’est du patriotisme à la carte.
"Black est beautiful" c'est-à-dire : le corps noir est beau, il faut préserver ses cheveux de la torture des traitements défrisant et des teintures, préserver la peau noire du blanchiment, ne pas laisser son nez et sa bouche succomber aux trucages de la chirurgie moderne. Nos corps sont ce que nous sommes, et nos corps sont beaux; nous ne devons donc jamais nous prosterner devant les barbares, jamais soumettre notre être premier, notre être à jamais unique, à la souillure et au pillage.
page 58
Une partie de moi pense que ta vulnérabilité te rapproche du sens de la vie.
À présent, la nuit, je te tenais dans mes bras et une immense peur me saisissait, aussi vaste que toutes les générations de nos ancêtres américains. À présent, je comprenais vraiment mon père et sa vieille rengaine - « Soit c'est moi qui le bats, soit ce sera la police. » Je comprenais tout - les câbles, les rallonges électriques, tout le rituel. Les Noirs aiment leurs enfants de façon un peu obsessionnelle. Vous êtes tout ce que nous possédons, et vous venez à nous en étant déjà vulnérables. Je crois que nous préférerions vous tuer nous-mêmes plutôt que de vous voir tués par les rues créées par l'Amérique.
C'est la philosophie de ceux qui ont perdu leur corps, des gens qui n'ont de contrôle sur rien, qui ne peuvent rien protéger, qui sont amenés à craindre non seulement les criminels en leur sein mais aussi la police qui règne sur eux avec l'autorité morale d'une mafia officielle.
Notre vérité à nous a toujours été que notre alliance, c'était toi. Nous t'avons fait venir de nous, et tu n'as pas eu ton mot à dire. Ne serait-ce que pour cette raison, tu méritais toute la protection que nous pouvions t'apporter. Tout le reste était subordonné à cet état de fait. Si ça donne l'impression que c'était un poids, c'est faux. La vérité est que je te dois tout. Avant toi, j'avais bien mes interrogations, mais rien de plus que ma peau pour participer au grand jeu de la vie, et ça ne pesait pas lourd, tout jeune que j'étais, inconscient de ma propre vulnérabilité. Une seule chose m'a domestiqué et remis les pieds sur terre :le fait, évident, que si je devais chuter, je ne serais plus le seul à chuter.
L’Amérique se croit exceptionnelle, elle se voit comme la nation, la plus grande et la plus noble qui ait jamais existé, une héroïne solitaire protégeant la citadelle blanche et démocratique des terroristes, des despotes, des barbares et autres ennemis de la civilisation. Mais on ne peut pas en même temps prétendre être surhumain et plaider que l'erreur est humaine. Prenons aux mots nos compatriotes et leurs prétentions au caractère exceptionnel de l'Amérique: essayons de soumettre notre pays à des critères moraux eux-mêmes exceptionnels. La tâche est difficile , du fait de tout un dispositif idéologique et culturel qui nous incite à prendre l'innocence de l'Amérique pour acquise et à ne pas nous poser trop de questions. Il est si facile de détourner le regard, de vivre avec les conséquences de notre histoire et d'ignorer l'infamie perpétrée en notre nom tous. Toi et moi, nous n'avons jamais vraiment eu ce luxe.
À l’origine de l’Amérique, il y a la spoliation des Noirs et la démocratie blanche.
L’Amérique blanche » est une sorte de syndicat, déployé pour protéger son pouvoir exclusif de domination et de contrôle sur nos corps. Parfois ce pouvoir est direct (lynchage), parfois il est insidieux (discrimination). Mais quelle que soit la manière dont il se présente, le pouvoir de domination et d’exclusion est au centre de la croyance dans le fait d’être blanc. Sans lui, « les Blancs » cesseraient d’exister, faute de raisons d’exister.