Stefan aus dem Siepen présente "La Corde"
Les blés sont comme le bonheur […]. Quand le bonheur devient trop grand, le malheur n’est jamais loin.
C'est seulement lorsque la flûte se taisait qu'ils redevenaient attentifs, constatant avec un étonnement rétrospectif qu'à l'instant même ils se sentaient bien et que la cause de cet état avait disparu; dès que la mélodie reprenait, un infime sourire éclairait brièvement leur visage et ils étaient heureux de se laisser à nouveau enfermer dans un cocon sonore.
La corde est longue ! croyez-moi ! j’ai fait un bon bout de chemin, mais je n’ai pas trouvé l’autre extrémité
Sur l'étendue de terre parcourue de stries blanchâtres, les épis, tordus en tous sens, étaient couchés sur le sol; on aurait dit un lac fouetté par le vent, couvert d'une infinité de vagues et de remous, qui se serait figé au plus fort de la tempête.
Le soleil qui déclinait entre les troncs nimbait de rose sa silhouette, lui conférant une aura de dignité et de respectabilité dont elle était totalement dépourvue sous un éclairage normal.
Le hurlement des loups se fit de nouveau entendre, s'étirant dans le soir, sinistre et incessant, parfois moins fort, s'abaissant jusqu'à n'être plus qu'un son ténu, presque geignard, un simple gémissement bientôt, avant d'enfler subitement, plainte modulée à pleine voix, qui, portant loin et perçant l'obscurité, parvenait par moments à recouvrir totalement les craquements du feu et le bruit du vent dans les arbres.
Une lune gris pâle se leva au-dessus des arbres, indifférente. Sachant pourtant que leurs maris ne reviendraient plus ce soir-là, les femmes trouvèrent réconfortant de patienter encore un petit moment
Rauk se leva de sa place et, ce qui le fit paraitre plus chétif encore, se plaça devant le tronc épais du tilleul afin de pouvoir embrasser du regard ses compagnons assis.
Les paysans étaient heureux. Sans cesse, ils fouillaient du regard le clair-obscur des taillis devant eux, ne se lassant pas du spectacle de la corde : tantôt luisante sous le soleil, on la voyait nettement courir sur le sol, tantôt on la perdait de vue, enfouie sous le brun éteint des feuilles sèches.
Ayant repris des forces durant la nuit, tous affrontaient cette nouvelle journée avec un mélange d’exubérance et de joyeuse impatience. Jusqu’à la fin de leur vie, ils parleraient à leurs enfants et petits-enfants de cette longue expédition vers l’inconnu, et ceux-ci la raconteraient à leur tour à leurs enfants et petits-enfants. Elle constituait le sommet de leur existence dans ces contrées reculées, une existence se déroulant dans une monotonie étouffante qu’aucun événement ou presque ne venait jamais rompre.