Rachel Hausfater, invitée de cette édition spéciale Lire en Poche 2020 (en rencontres scolaires et en rencontre pro), nous dit quelques mots de la thématique "Du rire aux larmes".
« De : Sacha sacha@intercom.fr
A : macha@intercom.fr
Date : 24 mai
Message :
Macha, je me suis trompé.
Peut-être que mon père avait raison.
Peut-être que j’aurais préféré ne pas savoir.
J’ai de la peine. J’ai perdu ma mère de rêve. J’ai perdu mon rêve de mère. »
Il ne se souvient pas.
Il ne se souvient de rien.
Enfin... c'est pas tout à fait vrai.
Il se souvient de loin.
D'avant, il se souvient bien.
De lui petit enfant, poussant, chenapan, devenu grand, jeune homme fringant, l'amour naissant, le travail prenant, ses trois enfants... Il s'en rappelle souvent, il s'en rappelle tout le temps.
Après aussi, ça lui revient, même si c'est plus mêlé, et même tout mélangé : qui est né avant qui de ses petits-enfants, et son fils qu'habite où et sa fille qui vient quand et le petit qu'est-ce qu'il fait ?
(p. 7)
Message :
Je ne sais pas où elle est.
Je ne sais pas ce qu'elle fait.
En fait, je ne sais pas qui c'est.
Je ne sais qu'une chose : c'est que je ne l'ai pas.
Et qu'elle me manque.
Quand on est le fils de quelqu'un, on existe. On a un nom : le sien. Il connaît votre prénom, qu'il avait choisi quand votre vie commençait, pleine de jolies promesses qui ont été trahies.
C'est comme ça qu'il vous appelle : Yankov, avec une voix qui console. Pas avec un surnom de prison donné par des prisonniers, pas avec un numéro de bestiau donné par des geôliers.
Maintenant, qui sait mon nom ?
- Comment tu t'appelles? me demande t-elle doucement dans son yiddish hésitant.
Je ne lui répond pas, je lui montre juste mon bras.
Mon numéro, c'est moi.
Alors elle tend la main et me touche la peau. Ca brûle! Je me lève brusquement et me sauve en courant, regrimpe l'escalier et me jette dans mon lit. Mon cœur est tout battant et j'ai envie de pleurer.
Je veux pas ses caresses!
Car la tendresse, ça ment.
Ca fait croire aux mamans...
- C'est loin ?
- Pas très, non, vers la mer, à quatre ou cinq kilomètres d'ici.
- Mais c'est LOIN, ça ! Comment tu faisais pour venir tous les jours à l'école à Sainte-Marie ?
- On venait à pied, qu'il neige ou qu'il vente.
- Même malade ?
- Malade ? Ça n'existait pas, ce mot, chez nous. Mon père ne s'est jamais arrêté de travailler un seul jour, et je n'ai jamais vu ma mère se reposer.
- Mais les enfants, c'est pas pareil !
- Dans ce temps-là, si. D'ailleurs, après l'école, je devais aider à la ferme, m'occuper des...
- ... des vaches, je sais...
(p. 65-66)
- Tu peux beaucoup l'aider, tu sais. Ne le laisse pas délirer, vivre dans le passé. Rappelle-lui le présent, ramène-le au présent.
- Tu crois que c'est facile ?
Parce que la France, c'est là que j'ai décidé. Ils veulent bien plein d'enfants, alors avec les copains on a décidé de s'y inscrire. De toute façon, c'est pas pour longtemps. Après, on repartira.
Mais pour l'instant, ça va. Même si je parle pas leur langue de français. C'est pas grave, je parlerai pas. Ou j'apprendrai. On verra.
En tout cas, je suis bien content d'aller dans un pays comme ça, un pays que je ne connais pas, et qui a un joli nom frais.
Mais c'est où la France?
Est-ce que quelqu'un me rêve ; est-ce que quelqu'un m'attend ?
Je ne trouve personne, et personne ne me cherche.
Pourtant j'en rêve si fort, à m'en crever les yeux.
Pourtant j'y rêve sans cesse, à m'en briser le cœur.
Coincés, piégés, condamnés. Périssant par milliers. Et pourtant espérant, ne pas mourir, nous en sortir, être sauvés, la liberté.
Mais quand ? Par qui ? Comment ?
" Se révolter, c'est dangereux, on prendra nos enfants. Il vaut mieux obéir, attendre, se faire petits, ne pas se retourner contre eux qui sont si puissants. Ils ne peuvent pas tous nous tuer, ça ne peut pas exister ! Si on nos déporte, c'est sûrement pour travailler. Il ne faut pas écouter ces jeunes excités qui nous parlent de résistance et de lutte armée, ils nous mettent en danger, ils vont tous nous faire tuer ! "