Un débat avec les historiens Limore Yagil et Pierre Birnbaum, le 25 février, au Théâtre Libre.
Félicie, Maria, Fabien... C'est une famille de paysans haut-pyrénéens, une famille comme ces milliers de Français qui ont caché des enfants juifs et défié les lois iniques du régime de Vichy. Après avoir longtemps négligé le souvenir de cet épisode, l'historien Pierre Birnbaum y revient dans un livre très personnel. Comment penser, aujourd'hui, la concomitance de l'abjection de la Révolution nationale et de l'héroïsme anonyme du sauvetage ?
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Le monde enseignant demeure prudent. Ainsi on observe, parmi les professeurs de l'enseignement supérieur, que de timides réactions de protestation à l'éviction de leurs collègues juifs, alors qu'en Norvège, aux Pays-Bas ou en Belgique, des manifestations publiques associent les doyens, les professeurs et les étudiants dans un commun refus de cette exclusion
On ne peut rêver meilleur symbole de la vigueur des idéaux républicains : un Juif d’État [René Cassin] tourné vers l’universalisme, entrant solennellement au Panthéon en même temps que l’abbé Grégoire, la figure de proue des lumières émancipatrices !
Ainsi les policiers de la brigade Permilleux, créée au sein de la préfecture de police, donc de l'administration traditionnelle, pour arrêter les milliers de Juifs ayant échappé aux rafles, laquelle sévit avec u ne rare efficacité jusqu'en août 1944, et agit fréquemment à partir de dénonciations de voisins ou de concierges, sont pratiquement blanchis par la Cour de justice de la Seine. Dans ce sens, avoir participé à la rafle du Vel d'Hiv n'est pas considéré comme une faute à la Libération
Stendhal comme Blum n’en deviennent pas moins de solides auditeurs au Conseil d’État, des fonctionnaires rigoureux dans leurs analyses juridiques qui n’entendent pas se détourner pour autant de l’objet de leur passion, la recherche éperdue du bonheur, de l’amour, mus par « l’avidité amoureuse, formée ou forcée par la lecture, alimentée par la rêverie [qui] dépendait de l’imagination seule ». L’amour est la grande affaire de leur vie, l’amour attendu, recherché, conquis de haute lutte. Stendhal, le romantique, échoue pourtant à conquérir l’être aimé, ses maîtresses lui échappent et l’accomplissement de ses désirs demeure davantage de l’ordre de l’imagination. Léon Blum y parvient, lui, sans même respecter les fameuses étapes de la « cristallisation » prescrites par son « frère » Stendhal. À ses yeux, ce dernier « ne connut jamais l’impulsion dominatrice des sens dont la femme subit confusément l’empire et qui oblige l’homme à risquer » !
Tout au long de sa vie, Blum fait figure de jeune homme décidé et entreprenant, il reste fidèle à l’adolescent rêveur qu’il a été, il conserve l’audace de Julien Sorel, le courage de Fabrice, les rêves de Lucien, préserve, mieux que Stendhal qui recule devant l’action, leur jeunesse, leur rêve de bonheur, leur optimisme jusqu’à en faire, dans les moments les plus tragiques, la règle essentielle de sa propre vie.
Il a à peine vingt ans lorsqu’il fait paraître dans La Revue blanche, en septembre 1892, une longue dissertation sur le rêve et l’action dans la recherche du bonheur qui « donne à Fabrice del Dongo et à Julien Sorel cette fougue intérieure de passion 1 ». Dans la même veine, il publie peu après la nouvelle intitulée « Ceci et cela », récit des incertitudes amoureuses d’un jeune homme désemparé qui a « coutume de chercher dans Le Rouge et le Noir ces conseils précis d’action ; […] chaque soir Julien Sorel me faisait goûter la saveur [de la passion] jusqu’à l’ivresse. J’en étais arrivé à confondre peu à peu nos vies ; il était en moi la raison conseillère 2 ». Dès lors, le héros décide d’agir comme Julien, de saisir de la main sa propre Mme de Rénal avant que l’horloge ne sonne dix heures car autrement « Julien rougissait de moi » 3. Le jeune Blum qui se lance dans la carrière littéraire s’identifie corps et âme aux héros de Stendhal. Il s’engage dans la rédaction d’un livre tout entier consacré à l’écrivain.
À l’instar encore des héros de Stendhal, il ne s’en laisse pas compter, il règle les affrontements à coups d’épée. On comprend que Julien Sorel, Fabrice del Dongo et surtout Lucien Leuwen, qui passent d’un duel à l’autre, hantent son imagination. Tout comme Stendhal encore, et avec Lucien Leuwen, Blum exècre le « juste milieu », ces hiérarchies sociales qui écrasent les aptitudes, les ambitions individuelles ainsi que les passions : comme Stendhal, il dénonce cette morgue des puissants qui méprisent le peuple et pervertissent la jeunesse en l’incitant aux compromissions. Dans ce sens, Blum fait sien le « mépris de l’argent ou des affaires » de Stendhal et de ses héros Fabrice ou Lucien, leur culte de la Révolution française, moment privilégié de remise en question de l’ordre social, de libération des énergies, d’ouverture des destins individuels et leur jacobinisme.
Comme le De l’Amour de Stendhal, Proust écrit, dans Jean Santeuil, première ébauche de la Recherche, de longues pages qui seront intitulées « Sur l’amour » tandis que Blum fait paraître, au même moment, en 1907, son livre scandale, Du mariage. Tous deux voient en Stendhal un professeur d’énergie, un chantre de la jeunesse, de l’individualisme, de la passion. Jean, le héros de Jean Santeuil, écrit Proust, « pensait toujours » à lui, le théoricien de l’égotisme, lorsqu’il courtisait Mme S. en jouissant « plus de son amour que de son amante », avec un plaisir « dont il avait vu la vivacité chez Julien Sorel, chez Fabrice del Dongo, dans le livre De l’amour » . Blum demeure le plus constant dans son admiration : contrairement à Proust, il admire le volontarisme des personnages stendhaliens qui ne cantonnent pas leurs désirs à leur seule imagination.
Il est parfois dans l'Histoire d'un pays un moment cruel où, pour sauver ce qui donne son vrai sens à la nation, on ne peut pas ne pas désobéir à l'Etat. La France d'après 1940 vivait un de ces moments.