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4.11/5 (sur 19 notes)

Biographie :

Michaël Sibony, trentenaire, déambule dans les rues de Paris quand il ne sillonne pas les sentiers de montagne. Marguerite et le mont Blanc est son ­premier roman.

Source : Fnac
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Les photos sont la mémoire des amnésiques, des distraits et de ceux qui s'absentent souvent à leur histoire.
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Mon cerveau fait sa crise d'adolescence :il veut s'agrandir et s'émanciper, alors qu'il reste emprisonné dans ma boîte crânienne.
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La montagne se consume, elle aussi, dans une autre temporalité. p. 93
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(Les premières pages du livre)
Nous marchons dans le petit tunnel pentu percé dans la roche. Il fait sombre, nous distinguons à peine les aspérités de sa voûte de pierre. Seuls des reflets luisants sur les rails nous guident par intermittence. Le reste du temps, nous nous fions au brouhaha saccadé émis par le frottement de nos pas sur les cailloux du sol. Des petits cailloux gris, tranchants, mélangés à quelques pierres, plus grosses et polies.
Au niveau du Nid d’Aigle – le terminus –, le train n’a pas pu redémarrer. Il est resté à l’entrée du tunnel, suspendu entre ciel et terre. Il est dix-huit heures trente. Les voyageurs, forcés de descendre de la montagne à pied, engorgent les voies. En convoi, à la queue leu leu, ils flanquent la ligne ferroviaire des deux côtés des rails comme on s’accroche à une ligne de vie. Après quelques dizaines de mètres, à la sortie du tunnel, la montagne nous expulse de ses entrailles et nous sommes tous aveuglés par la lumière : touristes en hordes familiales, solitaires du dimanche, alpinistes confirmés et jeunes rêveurs. Ébloui moi aussi, exalté, tout au plaisir de la situation singulière, je scande en continu : « Tchou-tchou, tchou-tchou. » Juché sur un rail, je pose mes pieds l’un après l’autre sur la tranche métallique et continue de progresser en équilibre, les bras tendus à l’horizontale. J’avance, tchou-tchou, tchou-tchou. Je suis le train. J’ai cinq ans.
Un barbu en uniforme, tenant dans ses mains des outils de mécanicien imprégnés de cambouis, surgit des flancs de la montagne. Il m’observe, attendri par l’enfant qui imite un train, puis il dit :
« Écoute. »
Je déraille et j’écoute.
« Sur la ligne du Tramway du Mont-Blanc, dit-il, on a trois trains. Le patron leur a donné le prénom de ses trois filles : Jeanne, Anne et Marguerite. Ils ont tous une motrice et un wagon, mais ils sont peints de couleurs différentes.
— À la montée, notre train était rouge et crème. Il s’appelait comment ?
— Ce devait être Marguerite.
— Marguerite ? »
Je cours vers le ventre arrondi de ma mère.
« Maman ! On pourrait appeler une des deux jumelles Marguerite ? C’est joli, Marguerite. »
Ma mère m’a laissé dire, amusée.
« Oui, c’est joli. »

Chapitre 1
Plus tôt ce même jour, avant de tomber en panne, le train nous a acheminés au Nid d’Aigle, à 2 372 mètres d’altitude. Il est bourré d’alpinistes encombrés de leur sac de montagne, épais comme deux hommes. Quand ils descendent des wagons, ils font rebondir leur paquetage contre les parois des portes. Un piolet menaçant est sanglé au dos d’un sac, la pointe vers le ciel. Parfois, un casque coiffe l’ensemble, suggérant la présence d’un enfant recroquevillé sur le dos du grimpeur.
Je pense à une histoire que mon père m’a racontée la veille.
« Dieu dit à Abraham : “Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, amène-le en haut du mont Moriah et offre-le-moi en sacrifice.”
— Et il a fait cela ? Il a tué son fils ?
— Abraham voulait apporter à Dieu une preuve d’amour. Il emmène Isaac en haut de la montagne et le ligote. Il lève son couteau. Mais à ce moment, un ange arrête la main du père et lui dit : “Épargne ton fils, tue le bélier qui est là à sa place.” Ce non-sacrifice marque la fin des sacrifices humains, il distingue le judaïsme des religions païennes. »
J’imagine, sur le dos des alpinistes, des enfants en partance vers le haut de la montagne.
Du quai, je fixe les yeux vers les chaussures aux semelles sculptées et aux longs lacets bicolores, entortillés autour de la languette, prêtes à me piétiner : les grimpeurs ne me voient pas, ma tête affleure le bas de leur sac. Je me faufile entre eux et j’esquive la bousculade avec toute l’habileté de mes petites jambes. Ils partent.
Du Nid d’Aigle démarre la « voie Normale » de l’ascension du mont Blanc, le chemin le plus fréquenté. Les prétentieux l’appellent la « voie Royale » au mépris de l’évidence : la route ne présente aucune difficulté technique, et aucun roi ne l’a empruntée. Ils veulent peut-être dire qu’on a une paix royale quand on la prend. Vu la quantité d’hommes harnachés, j’en doute.
Certains montagnards portent des cordes épaisses, du diamètre d’une bague, qu’ils enroulent avant de les accrocher sous le rabat de leur sac. Les boucles des cordages, violettes, roses ou d’autres couleurs vives, s’épanouissent de chaque côté en forme d’ailes de papillon. Elles lieront les membres du groupe entre eux quand ils atteindront le glacier de Tête Rousse, après deux heures de marche. Le plus souvent, un guide s’attache à deux clients et forme avec eux une seule entité solidaire : une cordée. Celle-ci comporte rarement plus de trois individus. Si l’un chute, les autres le rattrapent, sauf dans les cas rarissimes où ils tombent tous à la fois, car la corde ne casse jamais. Les prétendants au mont Blanc les moins expérimentés affichent un visage inquiet. L’idée de faillir les hante, et ils se donnent une contenance en scrutant les sommets.
Face à moi, un homme contraint par son guide de vider son sac se fait sermonner :
« Il est beaucoup trop lourd, votre sac !
— Je n’ai mis que le minimum, j’ai suivi à la lettre vos recommandations. »
Il le vide sur le coin d’un banc occupé par quelques marcheurs contemplatifs.
« Et ça ? Mais non, on ne sabre pas le champagne à 4 800 mètres d’altitude !
— Mais, dans ce cas, la vie ne vaut pas la peine d’être vécue !
— Quand on grimpe, on ne porte que le strict nécessaire. L’eau, le casse-croûte et le matériel de montagne. Un change si vous voulez. Rien d’autre. Plus haut, le poids sera amplifié par la fatigue. Quant à l’effet de l’alcool, il sera décuplé. Sur certaines lignes de crête très étroites, pas plus larges qu’une coudée, un faux pas est fatal ; mieux vaut marcher droit ! »
Je me remémore le contenu de mon sac Polochon bleu et jaune – pas l’oreiller, le meilleur ami poisson d’Ariel, la petite sirène. J’y ai mis le strict nécessaire : une barre chocolatée, de l’eau et ma petite locomotive en bois rouge.
J’entends parler anglais, allemand, et d’autres langues que je ne reconnais pas. Beaucoup de nationalités sont représentées parmi les alpinistes. Le désir de monter sur le mont Blanc fait venir des citoyens du monde entier. Qu’est-ce qui les unit dans ce désir de grimper ?
L’homme rabroué remet avec une moue déçue son sac allégé sur le dos. À ses côtés, son guide, souriant après la séquence d’autorité, finit de lover sa corde et la place autour du cou, en bandoulière. À quelques mètres, une femme au visage tanné fixe un bout de caoutchouc élimé sur la pointe de son piolet. Une autre s’acharne pour la seconde fois sur ses longs lacets et les serre bien fort, en faisant un triple nœud. La préparation à laquelle j’assiste m’impressionne. Tiraillé entre l’envie de les rejoindre et la peur du danger, le froid et l’effort qu’ils s’apprêtent à réaliser, j’entends au fond de ma tête une chanson que ma mère fredonne parfois :
Donna donna donna
Tu regretteras le temps
Donna donna donna
Où tu étais un enfant

Il est trop tôt pour regretter. Je tourne la tête. Mes parents commencent à marcher et m’arrachent au spectacle des alpinistes bossus, effrayants et captivants. Le rythme saccadé de mes petites foulées rattrape vite les lentes enjambées de mes parents.
« Le Tramway du Mont-Blanc ne va pas jusque tout là-haut, il s’arrête là où démarre le sentier, au Nid d’Aigle. Un jour, moi, j’irai. Tout là-haut là-haut là-haut, dis-je en pointant le ciel du doigt et en me hissant sur la pointe des pieds. Oui, sur le mont Blanc.
— Là, tu désignes l’aiguille de Bionnassay. Le mont Blanc, lui, est encore caché, rectifie mon père.
— Il est plus haut mais on ne le voit pas ?
— Parfaitement. Les choses les plus hautes ne sont pas toujours les plus visibles. »

En attendant d’avoir l’âge de la grande ascension, je traîne des pieds sur le sentier monotone qui mène du Nid d’Aigle à un point de vue sur le glacier de Bionnassay. La marche, d’une durée de trente minutes à peine, se pratique en famille avec des enfants.
« Pourquoi je dois marcher si on ne verra même pas le mont Blanc ?
— Tu dois t’entraîner dès maintenant.
— Mais pourquoi ? »
Une bifurcation scinde notre route en deux. Point de vue glacier de Bionnassay – 30 minutes à droite, Refuge Tête Rousse – 3 heures à gauche. Je m’arrête. Mon père, qui a continué vers le glacier, se retourne et m’appelle.
« Qu’est-ce que tu fais ? Avance ! »
Des randonneurs dévalent du chemin de gauche, poursuivis par un nuage de poussière.
« Eux, ils reviennent du mont Blanc ? »
Ils ont le maillot et les cheveux tout mouillés, comme s’il avait plu de l’eau chaude et de l’eau froide sur leur tête. Même leurs yeux sont brillants de transpiration, et d’autre chose, je ne sais pas quoi.
Je montre à mon père la sente de gauche :
« La voie Normale est par là ?
— Normale ou Royale, tu as le choix. »
Ceux qui en reviennent n’ont rien de normal, avec leurs yeux fiévreux, leurs joues piquées de rouge sombre et leurs jambes chancelantes.
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Elle connaît ma relation intime avec cette œuvre; j'en ai enregistré chaque note avec la même précision que le tracé du réseau ferroviaire de la vallée de Chamonix. Je sais avec exactitude le cheminement des trains, et pas seulement leur destination. Je ne peux ouvrir les yeux sur un détail du paysage sans l'associer à une image, un point sur la carte, un nom: chaque grincement de rail, chaque sonnerie de barrière qui se ferme, chaque toit neigeux, chaque piste discrète qui s’évanouit dans l'ombre des conifères.… Dans ce train, mes sens me hurlent que je ne suis pas un étranger. p. 49
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