Toute sa vie, Kerry Salter a cherché à éviter deux choses : sa ville natale et la prison. Mais son grand-père se meurt et la police du Queensland la soupçonne de complicité dans un cambriolage. La jeune aborigène remonte donc sur sa Harley, direction Durrongo, sa rue principale, son pub, son ennui, ses sauvagesnormauxblancs
et sa famille fantasque. Car, entre sa mère qui tire les cartes dans les foires, son frère, sorte de koala géant alcoolique, et son neveu mal dans sa peau qui se rêve en baleine, Kerry aura fort à faire. D'autant que le maire entreprend de construire une prison sur la terre sacrée des Salter : la magnifique île d'Ava où leur ancêtre, pourchassée par les Blancs, s'est réfugiée pour y accoucher. La guerre entre l'édile corrompu et la famille Salter sera féroce.
Un roman grinçant et jubilatoire qui nous plonge au coeur du bush australien.
Melissa Lucashenko est une autrice bundjalung de la côte est de l'Australie. Très active dans la défense des droits des aborigènes, elle est co-fondatrice des Sisters Inside, une association qui vient en aide aux femmes incarcérées. Celle qui parle aux corbeaux est son sixième roman. Il a reçu le prestigieux prix Miles Franklin en 2019.
Traduit de l'anglais (Australie) par David Fauquemberg.
En savoir plus : https://bit.ly/3o2LT1x
+ Lire la suite
Il se montrait catégorique : pour lui, on ne pouvait jamais connaître entièrement une montagne, pas plus qu'une personne.
Une hereford placide appuyée sur les genoux recourbés de ses pattes de devant mâchait son herbe, une aigrette blanche perchée entre ses cornes.
Avec son long nez plat et ses cheveux grisonnants, Ken ressemblait de plus en plus à un koala géant un peu attardé.
Quand on lui demandait si elle avait encore une mère, elle avait pris l'habitude de répondre que non, et ce n'était même pas un mensonge. Une guillotine était tombée entre alors et maintenant, et tout, et tout ce qui se trouvait de l'autre côté de cette lame étincelante avait été remisé à tout jamais.
Les gens disent toujours qu'il faut mener sa vie en regardant droit devant et que pour la comprendre, il faut regarder en arrière, ouais, eh ben, tu sais quoi ? Ils ont vraiment pas tord.
_ On ira bientôt, lui promit Kerry en faisant tourner le panier tordu dans ses mains.
Les fibres de lomandra étaient agréables au toucher. Solides . Naturelles. Peut-être était-il temps de se mettre au tissage. De s'intéresser à la tradition, tout ça.
_ C'est quoi notre mot à nous pour ça ? demanda-t-elle à sa mère en reposant le panier.
_ Dhili, répondit Pretty Mary d'un ton plein de nostalgie. Mamie Ava disait toujours : « Yan bulloon, petite fille, va rivière et rapporte-moi punyarra dhili, et choisis des belles ! »
_ Ouah, classe, apprécia Kerry.
Mamie Ava était le lien : la dernière païenne de la famille à parler couramment la langue, avant que l'Église ne débarque et n'enfonce à la place le Notre Père dans la bouche d'une mamie Ruth de douze ans.
Il percevait vaguement les feuilles de l'eucalyptus et les ramures du pin luisant dans l'éclat du matin; il voyait la rivière miroiter comme une avalanche de diamants broyés qui serpentait nerveusement, pressée de rejoindre la mer.
C'était la première fois qu'Owen mettait les pieds dans cette bourgade en pleine cambrousse qui se prenait pour une grande ville. Le garçon n'avait jamais vu un ring de boxe surélevé comme celui qui l'attendait là, vide et menaçant sous cette éclatante lumière électrique. Le nombre de whitefellas en ce bas monde était une révélation. Des digais jaillissaient de toutes les portes, leurs visages blancs fixés sur lui, rien que des inconnus. Le grand espoir jaune, entendit-il grommeler l'un d'eux à la belle pièce de mouton qui pendait de son bras. Owen avala sa salive. Chez lui, ses ennemis étaient clairement identifiés : le révérend O'Sullivan, les gunjibal en uniforme, les services sociaux. Mais où était donc le serpent tapi dans cet enclos-là ?
( Incipit )
La poitrine gonflée de fierté : Je suis un homme qui se bat pour qu'on reste libres.
Ils se trouvèrent un coin sous d'immenses camphriers et s'allongèrent dans l'herbe. Sur l'ovale de footy devant eux, deux dromadaires, l'air snob, étaient menés au licol, des badauds inquiets perchés sur leur dos - des badauds qui réalisaient maintenant combien la bosse d'un dromadaire était haute par rapport au sol, et que c'était quand même une drôle d'idée, et qu'ils avaient payé pour en plus !