Leymah Gbowee et le droit des femmes
Le prix Nobel de la Paix 2011
Leymah Gbowee présente son livre "
Notre force est infinie", paru aux éditions Belfond. Les images de ces femmes en blanc héroïques qui ont réussi à chasser
Charles Taylor du Libéria ont fait le tour du monde. Parmi elles,
Leymah Gbowee, le chef de file du mouvement. Un témoignage renversant, poignant et criant de sincérité sur son combat pour la paix et la démocratie au Libéria et en Afrique de l'Ouest, doublé d'un magnifique portrait de femme.
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Dans le récit traditionnel des histoires de guerre, les femmes sont toujours à l'arrière-plan. Nos souffrances ne sont qu'un à-côté du récit principal. Quand on nous montre c'est par « intérêt humanitaire ». Nous autres, Africaines, sommes le plus souvent marginalisées et dépeintes comme des victimes pathétiques à l'expression hagarde, aux vêtements déchirés, aux seins tombants. Telle est l'image à laquelle le monde est habitué, l'image qui se vend. (…) nos histoires sont rarement contées. Je veux que vous entendiez la mienne.
Chacun de nous, dans ce pays [le Liberia], a été une victime, d'une manière ou d'une autre, et chacun de nous a besoin de guérir. (...) Tu racontes ton histoire et tu survis. Tu dépasses ton statut de victime et tu ressens le besoin d'aider. Mais pas seulement une personne : toute la société ! (p. 138-139)
« Vous ne pouvez pas laisser des empreintes durables si vous marchez sur la pointe des pieds » .
Les séquelles psychologiques étaient presque inimaginables. Toute une génération de jeunes gens n'avaient aucune idée de ce qu'ils pourraient faire de leur vie maintenant qu'ils n'avaient plus d'armes entre leurs mains. Plusieurs générations de femmes étaient veuves, avaient été violées, avaient vu leurs filles et leurs mères se faire violer, leurs enfants tués et être tués. Les voisins avaient traités leurs voisins en ennemis, les jeunes avaient perdu espoir et les vieux tout ce qu'ils avaient mis une vie à gagner. En tant qu'individus, nous étions traumatisés. Nous avions survécu à la guerre, mais nous ne savions plus comment vivre. La paix ne se fait pas en un instant, c'est un très long processus.
[Liberia, années 90, témoignage d'une femme]
Les soldats sont entrés dans le camp de personnes déplacées. Ils m'ont dit : "Donne-nous tout l'argent que tu as !" Je l'ai fait. Je leur ai tout donné. Puis ils m'ont dit "Retire tes vêtements !" J'ai fait ce qu'on m'ordonnait. Ils m'ont tous violée. Tous sauf un. C'était le dernier et il a dit que son pénis était trop bien pour moi. A la place, il a utilisé son couteau. (p. 165)
Thelma voyait pourtant en moi un leader, et son regard a changé la manière dont je me définissais : non plus comme une assistance sociale, mais comme un artisan de la paix.
Est-ce que tu as été violée ? m'ont-elles demandé tout de go.
Quand j'ai répondu non, elles ont hoché la tête.
Alors pourquoi es-tu si en colère ?
Quand on est déprimé, on est piégé à l'intérieur de soi et on ne peut pas faire les efforts nécessaires pour essayer d'aller mieux. Et on s'en veut. On voit combien les autres souffrent, mais on se sent incapable de les aider, et on s'en veut encore plus. La haine de soi rend plus triste, la tristesse rend plus impuissant, l'impuissance génère encore plus de haine de soi. (p. 134)
Ma frustration vis-à-vis du Programme de guérison des traumatismes s’en est trouvée justifiée. C’était un processus nécessaire, mais pas suffisant. Se purger de la douleur n’était qu’une première étape. Pour qu’une communauté guérisse après une guerre, surtout une guerre civile, les coupables et les victimes doivent se retrouver côte à côte et non face à face.
[...] et avec Howard Zehr, qui m’a appris le concept de “justice réparatrice”. C’était une réponse aux comportements criminels qui renonçait aux punitions et aux châtiments pour se tourner vers la réparation des dommages par l’intermédiaire d’un effort conjoint entre victimes et auteurs des crimes.Le criminel entreprenait de réparer le mal qu’il avait causé, la victime était reconnue et pardonnait, et tous deux redevenaient des membres à part entière de la société. ça m’a semblé juste. Dans la tradition villageoise, si on tue quelqu’un, on doit compenser son absence. Si les personnes impliquées étaient des paysans, le coupable devra cultiver son champ et celui de sa victime. La justice réparatrice était une tradition appliquée à grande échelle, quelque chose qu’on pouvait considérer comme nôtre, pas une idée imposée par les Occidentaux.