Nous n’avons jamais laissé le chaos nous dicter un chemin dans notre famille. Nous en avons toujours pris le contrôle. La vie ne dicte pas sa loi à un Leprince, nous n’obéissons qu’à Dieu. Le reste n’est que foutaises.
J’avais fait des choix qui engagent cinq, et bientôt six enfants. Qui engageaient aussi un homme. Que ce choix fut le bon ou non, la question ne se posait donc plus. Je devais assumer mes responsabilités et ne pas leur faire payer mes erreurs de jugement. J’avais été sans doute naïve, rapide, aveugle, peu importe, mais j’allais essayer de ne pas être en plus inconséquente ou lâche. Je croyais en mon pouvoir de résilience, à mon aptitude à endurer. J’étais convaincu aussi que nous avions ça en nous, les femmes, cette capacité à aimer et à donner au-delà de tout. Au-delà du raisonnable, au-delà de normal, au-delà de l’acceptable. C’est ce qui faisait notre force.
La réussite n’est pas qu’une question de salaire ou de promotion professionnelle. La réussite, c’est d’atteindre ses objectifs.
- Ah ! Manon… n’est-ce pas ? A dit le père en s’avançant. Je le sais, je vous ai choisie à cause de votre prénom.
- C’est gentil, merci.
- Je ne sais pas ce qu’il y a de gentil là-dedans. Vous étiez la seule de la liste à avoir un prénom catholique. Et j’étais pressé. Je me suis dit que c’était une garantie suffisante.
« Mes filles, on les élevées libres, on les a poussées à faire leurs choix, pas à suivre les nôtres. On leur a appris à décider seules, à avoir leurs propres opinions, pas les nôtres. On a essayé de tout faire pour qu’elles soient elles-mêmes et pas quelqu’un d’autre. A ne pas suivre des règles si elles n’y croyaient pas. A mériter ce qu’elles gagnaient. Et toujours dans le respect de soi et des autres. Tolérance, c’était notre maitre-mot à la maison. »
« - Mais tu délires, Manon, totalement. Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu crois vraiment qu’il y a un type là-haut, planqué sur son nuage qui aurait appelé leur mère pour faire du jardinage avec elle parce qu’il s’emmerdait seul et qu’il avait besoin de compagnie ? »
Bien sûr, elle va me manquer. Sa douceur, son rire, sa gentillesse, sa gaieté. Sa beauté aussi. Mais elle est comme un petit chat : mignonne, mais usante.
Manon ne se pose aucune question, elle vit, c'est tout. Elle fait, et elle vit. Elle prend les choses comme elles viennent, sans se demander pourquoi elles viennent, ni d'où, ni combien de temps elles vont durer.
La procédure de divorce est presque terminée maintenant. Je vais pouvoir reprendre mon nom, effacer Leprince, et c’est comme si on allait m’enlever une couche de goudron. Je vais pouvoir redevenir totalement moi à nouveau, respirer librement.
« Qui aurais-je été si j’avais pu m’exprimer librement et être sans jugement, sans attente, sans déception ? Si j’avais pu chercher en confiance un chemin, au lieu d’être obligé de marcher dans des traces toutes faites qui n’ont jamais étaient les miennes ? Les traces de mon grand-père, de ma mère, les traces d’un héritage et d’une famille trop grandes pour moi… »