Il est cependant incontestable que la stigmatisation des pauvres et des assistés s’est considérablement développée ces dernières années. Dans les années 1980, quand on a redécouvert la pauvreté, on parlait de « nouveaux pauvres ». On était dans une attitude globalement compatissante à l’égard de ces nouvelles catégories touchées par la pauvreté. La société se demandait comment leur venir en aide. Lorsqu’on a créé le RMI, il était précisé dans la loi que la société française avait une dette envers les plus pauvres et que l’insertion était un impératif national. On était attentif collectivement à la protection et à la reconnaissance de l’ensemble des Français, dans le souci de renforcer la cohésion sociale. Cette ambition collective s’est affaiblie au début des années 2000, avec un virage idéologique : le mérite a pris le pas sur le principe de solidarité. Ce qui revient à considérer que les pauvres ne font pas suffisamment d’efforts pour s’en sortir et qu’il faut valoriser le mérite : ceux qui se lèvent tôt, ceux qui acceptent sans rechigner des conditions de travail difficile.
La formation de la pensée civique à la fin du Moyen Âge, indissociable de la redécouverte et de l’assimilation de la pensée d’Aristote, apparaît tout aussi liée à la construction d’une intense politisation de l’exclusion. Celle-ci passe par la mise en place, concomitante à la construction d’une communauté civique, de mécanismes d’identification de l’étranger, de constitution politique de l’altérité et d’exclusion des intrus. Revenir aux lecteurs médiévaux d’Aristote permet de saisir l’enracinement médiéval d’une certaine manière de penser la communauté politique, tout autant que l’origine des régimes d’exclusion de l’espace civique — comme une vérification précoce et inattendue du paradigme moderne, étatique et schmittien, de l’ami et de l’ennemi.