Sortie du livre: "Ils sont infirmiers de campagne", de Fanny Cheyrou et Jeff Pourquié.
En 2014, 3 279 personnes* sont mortes en traversant la Méditerranée.
Qui sont-elles ?
Corps sans nom, sans histoire.
* Chiffres de l'Organisation internationale pour les migrations, OIM.
Il y a l'adrénaline, c'est comme ça qu'on peut mettre de côté les émotions. Mais les émotions reviennent une fois l'adrénaline tombée.
Une fille comme cela, on n'en rencontre jamais. C'est comme si elle n'existait pas.
Cela fait quinze ans que j'écoute les récits des migrants. Quitter son pays demande beaucoup de détermination. Ceux qui arrivent en Europe ont une énergie folle.
Qu'est-ce qui nous fait si peur dans cette rencontre-là ?
Pour moi, c'est une illusion de contrôle, parce que tout le monde sait que les frontières, on ne va pas pouvoir les rendre étanches.
Surtout, c'est pourquoi on le fait.
Est-ce qu'on le fait parce qu'on est face à des questions d'argent, à l'industrie de l'armement, etc. ?
Je pense qu'en partie c'est ça, mais je crois que ce sont surtout des choix politiques, qui viennent du coup alimenter tout un système.
Un système complètement vain.
Si l'Europe ne veut pas que les Africains quittent leur pays pour venir chez elle, peut-être faudrait-il qu'elle arrêt de prendre leurs poissons et leurs minerais... et qu'elle se demande quelles sont ses responsabilités dans la gestion des ressources.
(page 130)
"(...) - Ça doit être cool, comme taf, d'être la Grande Faucheuse ! Pas de patron, des voyages, de l'exercice... Un métier d'utilité publique. (...)"
Jeff POURQUIÉ & WARFI, Abel Abigalus: Premiers pas dans l'au-delà, 2005, Casterman (p. 46).
La critique de la politique d'immigration de l'UE est dirigée contre Frontex [Agence européenne des frontières extérieures]. Mais Frontex ne fait que coordonner les efforts des États membres. Les problèmes auxquels l'Agence apporte des réponses ne peuvent être réglés uniquement avec du contrôle aux frontières.
Il s'agit d'un ensemble... de ce que les États membres et l'UE font dans les pays de départ et de transit, de ce qu'ils font à la frontière et sur le territoire européen.
(Ilkka Laitinen, directeur de Frontex, 2004-2014)
L'Europe qui se construit en forteresse à coups de murs et de radars ressemble à un monstre qui se nourrit lui-même : toujours plus de contrôles, donc toujours plus de moyens techniques. Donc toujours plus de risques pour les migrants. Donc toujours plus de morts. Donc toujours plus de contrôles.
Finalement, ceux qui en profitent le plus, ce sont les industriels de la Défense et les passeurs.
(page 54)
Et si la fonction première de cette technologie était avant tout de maintenir le migrant à distance, dans l'anonymat et l'ombre ? Pour repousser le plus loin possible la rencontre entre le migrant et celui qui doit lui barrer la route ?
Pourtant, tout comme aucun mur ne peut rendre une frontière étanche, aucun radar ne peut éviter ce moment-là.
(page 59)