Denis Infante a publié son premier roman Rousse publié aux éditions Tristram le 4 janvier 2024. Il raconte l'épopée d'une renarde qui souhaite découvrir le monde. Un ouvrage déroutant par sa singularité. Son histoire possède la clarté d'une fable et la puissance d'une odyssée et qui ne laissera personne indifférent. L'exergue, emprunté à
Jean Giono, dit tout de l'ambition poétique et métaphysique de ce roman splendide : "Dans tous les livres actuels on donne à mon avis une trop grande place aux êtres mesquins et l'on néglige de nous faire percevoir le halètement des beaux habitants de l'univers."
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Lire au lit dans le silence, la paix, la chaleur et la lumière la mieux adaptée est un des plus grands plaisir de la terre.
Les chênes de 1910 avaient alors dix ans et étaient plus hauts que moi et que lui. Le spectacle était impressionnant. J'étais littéralement privé de paroles et, comme lui ne parlait pas, nous passâmes tout le jour en silence à nous promener dans sa forêt. Elle avait, en trois tronçons, onze kilomètres dans sa plus grande largeur. Quand on se souvenait que tout était sorti des mains et de l'âme de cet homme, sans moyens techniques, on comprenait que les hommes pourraient être aussi efficaces que Dieu dans d'autres domaines que la destruction.
Le héros n'est pas celui qui se précipite dans une belle mort ; c'est celui qui se compose une belle vie.
Celui qui n’est pas capable de faire son bonheur avec la simplicité ne réussira que rarement à le faire, et à le faire durable, avec l’extrême beauté.
(La Chasse au bonheur)
"Il faudrait que la joie soit paisible. Il faudrait que la joie soit une chose habituelle et tout à fait paisible et tranquille, e non pas batailleuse et passionnée."
"Tu peux être tout ce que tu veux [...], mais il faut être fou, mon enfant. Regarde autour de toi le monde sans cesse grandissant de gens qui se prennent au sérieux. Outre qu'ils se donnent un ridicule irrémédiable [...], ils se font une vie dangereusement constipée. [...]"
Subitement il fit très froid. Antonio sentit que sa lèvre gelait. Il renifla. Le vent sonna plus profond; sa voix s'abaissait puis montait. Des arbres parlèrent; au-dessus des arbres le vent passa en ronflant sourdement. Il y avait des moments de grand silence, puis les chênes parlaient, puis les saules, puis les aulnes; les peupliers sifflaient de gauche et de droite comme des queues de chevaux, puis tout d'un coup ils se taisaient tous. Alors, la nuit gémissait tout doucement au fond du silence. Il faisait un froid serré. Sur tout le pourtour des montagnes, le ciel se déchira. Le dôme de nuit monta en haut du ciel avec trois étoiles grosses comme des yeux de chat et toutes clignotantes.
Quand je réfléchis qu'un homme seul, réduit à ses simples ressources physiques et morales, a suffi pour faire surgir du désert ce pays de Canaan, je trouve que, malgré tout, la condition humaine est admirable. Mais, quand je fais le compte de tout ce qu'il a fallu de constance dans la grandeur d'âme et d'acharnement dans la générosité pour obtenir ce résultat, je suis pris d'un immense respect pour ce vieux paysan sans culture qui a su mener à bien cette œuvre digne de Dieu.
Le jour s’assombrit peu à peu. La pluie commença par n’être qu’une fine mousseline tiède, puis, s’écroula en blocs de plus en plus pesants pendant une quarantaine d’heures ; sans rage ; avec une sorte de paix tranquille. Enfin, il y eut un coup de tonnerre magnifique, c’est-à-dire avec une belle déchirure rouge et tellement retentissant que les oreilles s’en trouvèrent toutes débouchées. Le ciel s’ouvrit. De chaque côté de la fente des châteaux vertigineux de nuages s’étagèrent et le ciel apparut azuré à souhait. À mesure que les châteaux de nuages s’éloignaient l’un de l’autre découvrant de plus en plus du ciel, l’azur vira au bleu de gentiane et tout un ostensoir de rayons de soleil se mit à rouer à la pointe extrême des nuées.
« La mélancolie fait plus de victimes que le choléra…elle tue dans des proportions qu’on ne connaît jamais, car ses victimes n’étalent pas des ventres verdâtres au long des rues mais cassent leur pipe avec une très grande décence et modestie, dans des coins secrets où elles passent pour avoir été frappées de mort naturelle. Mais outre ces conclusions radicales, la mélancolie fait d’une certaine société une assemblée de mort-vivants, un cimetière de surface, si on peut dire, elle enlève l’appétit, le goût, noue les aiguillettes, éteint les lampes et même le soleil et donne au surplus ce qu’on pourrait appeler un délire de l’inutilité qui s’accorde parfaitement d’ailleurs avec toutes les carences sus-indiquées et qui, s’il n’est pas directement contagieux, dans le sens que nous donnons inconsciemment à ce mot, pousse toutefois les mélancoliques à des démesures du néant qui peuvent fort bien empuantir, désoeuvrer et, par conséquent faire périr tout un pays. »
J. Giono Le Hussard sur le toit