Max Cabanes est un grand nom de la bande dessinée et un témoin privilégié des grandes heures de la production française. L?homme natif de Béziers a la gouaille du sud mais la modestie et la discrétion d?un auteur inconnu. Et pourtant, quelle carrière ! Remarqué dans la série "Dans les villages", il travaille avec
Jean-Claude Forest, scénarise ou dessine des récits fantasmagoriques et réalise une superbe fresque dans la ville d?Angoulême. Il obtient même le Grand Prix d?Angoulême en 1990 grâce à une carrière accomplie où il s?est essayé à tous les genres et tous les styles graphiques avec une inventivité surprenante. Il prend ensuite un virage serré avec l?adaptation de trois célèbres polars du maître du genre,
Jean-Patrick Manchette : la fusion entre deux monstres artistiques, rendue possible par le fils de Manchette,
Doug Headline, donne forcément un rendu explosif. Dans son style graphique unique où le dessin crève la planche et les couleurs marquent les esprits, Cabanes parvient à égaler
Jacques Tardi dans le même exercice. Nous avons eu la chance de l?interviewer lors du festival Quai des bulles, peu de temps après la publication de "
Nada". « Rencontre du 3ème super type » en exclusivité pour Planetebd?
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La première question, qui ne manquera pas d’intéresser nos auditeurs, est la suivante : sauriez-vous nous dire, mademoiselle, qui règne sur Mornemont, le pays clos ? Qui en est le Préfet ou le Gouverneur ? À moins qu’il ne s’agisse d’un Prince ou d’un Roi ?
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Depuis ce matin six heures, pas un mot, pas une syllabe, rien ! Cette fois, j’en prends le mur à témoin, six heures durant, silence… Quand je veux, je peux ! Qui aurait voulu m’arracher une parole m’aurait arraché la langue plutôt. Parce que je parle qu’il dise… Je parle tout seul et je dis des choses – sans m’en rendre compte – et ils se marrent paraît-il, mais ça les dégoûte en même temps, paraît-il encore… C’est comme une femme qui a des pertes celui qui parle comme ça tout seul, ou à ses pieds. Parce que je parle à mes pieds quand je marche, dit-on… Je regarde mes pieds (j’aime savoir où je les mets) et, par ailleurs je parle : voilà la vérité ! j’ajouterai que ni mes pieds ni le mur en dessous n’entendent un mot de mon discours, j’en mets mon œil à couper. Pour entendre, il faut écouter. (un tant soit peu…) J’imagine mal mes pieds ou le mur dressant l’oreille, et que la chose m’échappe. Je n’en dirai pas autant de tous ces voleurs – coalition de canailles – ceux-là doivent en permanence tenir un des leurs aux aguets. Il y a celui qui se cache dans ‘ombre ou le fourré et qui chemine (sous moi) comme la fouine ou la taupe, et il y a celui fait l’innocent.
On dit toujours : Rien ne va plus !… mais un Rien vaut mieux que deux tu l’auras…. (comme aurait dit l’épicier), au moins on sait à quoi s’en tenir… parce que si jamais Ça va allez savoir où ?… (Évidemment pas loin, mais pas loin, où ça ?) D’abord pour que ça ait des chances d’aller un peu loin, faudrait avoir une idée de ce qui va, exactement… et dans quel sens ! Aujourd’hui, c’est galimatias et brouillamini ! Parfois je me dis : pour y voir clair, il faudrait poser tout ça, là, bien à plat… Je veux dire le coucher sur le papier, avec des mots et des virgules… avec des points, des tirets, des guillemets, des parenthèses… beaucoup de parenthèses…
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Mais qu’on ne vienne pas m’écrire dans le dos ce que je n’ai pas écrit. Ni travestir par rajouts, en filigranes ou estampilles, la mise en images – j’allais dire la mise en scène – de Tardi. Qu’on n’aille pas voir dans Ici Même un pamphlet, une satire de notre société ou des représentants de son régime politique. Je n’ai pas eu davantage l’intention particulière de tourner en dérision l’attachement à la propriété. Si cet attachement conduit ici à des situations grotesques, c’est au même titre que la politique, la loi, l’épicerie ou la fornication, il servait par ses errements un récit, une intrigue dont le fondement est ailleurs et qui devrait selon moi, parler de tout autre chose. […] Je veux dire qu’à la tradition, aux habitudes culturelles qui toujours poussent le lecteur à être un raisonneur s’ajoute une incitation renforcée à chercher dans la moindre idée, dans le moindre récit, la morale, l’idéologie clairement ou obscurément véhiculées. Il faut donc au lecteur une belle indépendance d’esprit pour s’accrocher au seul récit et jetant la leçon aux orties, ne tirer parti que du charme des situations et de la surprise des rebondissements, sinon du rêve offert en prime. Ajoutons pourtant qu’il serait malvenu de critiquer ce type de lecture orientée. C’est plutôt une certaine écriture qu’il faudrait incriminer, puisqu’à présent on met couramment la charrue avant les bœufs, c’est-à-dire l’idéologie avant l’imaginaire. Quand ça n’est pas les attitudes et les slogans avant le senti et le vécu. – Jean-Claude Forest, octobre 1979
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Mon ami, il est facile de faire l’intéressant lorsqu’il s’agit des affaires des autres. Mais puisqu’il vous plaît de vous en mêler, prenez au moins la peine de vous informer. Vous voyez ces collines, cette campagne morcelée, découpée comme bête à l’abattoir, ces propriétés comme des escalopes et qui s’étalent du lac aux coteaux de Machepaille ! Enlevez tous les murs, et vous n’aurez plus qu’un seul et magnifique domaine : Mornemont ! Mornemont, au début du siècle, appartenait tout entier à ma famille. À la suite de querelles avec les voisins à propos de misérables lopins de terre, ma famille a dû entamer une ribambelle de procès – foutus procès mal engagés et mal soutenus – et nous avons perdu… Et peu à peu le domaine tout entier a changé de propriétaire ! Ces gens, nos cousins par alliance – funeste alliance – se sont liés de la manière la plus basse pour abattre mon père, et avant lui mon grand-père. Ils m’ont volé Mornemont. Ce que vous ne savez pas, c’est que la situation n’est plus ce qu’elle était il y a vingt ans : depuis trop longtemps de sordides questions d’intérêt les poussent à se marier entre eux… et leurs rejetons sont dégénérés ! Dégénérés, leurs enfants pervers ou tuberculeux, voilà ce qu’ils sont ! Et moi, Arthur Même, je tiens bon ! Ils pourrissent et moi je veille et je m’enrichis ! Avant l’hiver, je demanderai la révision des procès perdus par mes ancêtres.
Avant d’entamer la seconde partie de sa déclaration, le Président marque un temps… un silence… Ainsi le destin en marche s’annonce à pas feutrés.
N’y a-t-il donc à l’orgueil d’autre issue que l’humilité ?
Mercredi 29 mai 10h du matin. Il a sa tête des mauvais jours. Autre-Septembre a cru bon de le faire attendre (le bossu est rentré furieux de son expédition). À 7h30, Madame a téléphoné de Castelvignc. Peur panique des élections. Persuadée qu’il y aura des émeutes dimanche soir après la proclamation des résultats. Elle a rêvé des fontaines de la capitale crachant du sang… hémoptysie urbaine pour le grand soir. Elle a raccroché à 7h42. N’a pas parlé des enfants. À 7h43, Ghislaine appelle de Saint-Paul-en-Mer. Elle demande si l’avion personnel du Président est vraiment complet, ou s’il y a encore de la place dans les soutes pour deux ou trois valises – celles de sa mère. À 8h06, il appelle De Brandon et Badinski à leur domicile. Le Garde des Sceaux et le Ministre de l’Intérieur sont convoqués pour 14h et 14h30.
Le mal de manque, mademoiselle. Un virus qui touche le corps et l’esprit… surtout l’esprit !
Mon cher Quatre-Septembre, il y a longtemps que nous connaissons, et l’occasion ne m’a pas manqué d’apprécier votre talent et…. la diversité de vos compétences. Parmi les hommes intelligents qui, avec discrétion, évoluent dans les coulisses de l’État, vous m’apparaissez comme le mieux informé dans les domaines les plus variés… sinon les plus singuliers…. Comme vous ne manquez ni d’audace, ni d’imagination, on vous dit aussi indispensable que vous pourriez être, disons… dangereux ! Dangereux pour qui n'a pas pris ses précautions. Mais, nous savons l’un et l’autre que nos précautions sont prises de longues dates ! Venons-en à ce qui aujourd’hui m’amène à vous consulter…