Maison de la poésie (10 nov 2017) - Texte et Lecture de Jean-Philippe Domecq, extrait du Dictionnaire des mots en trop (dirigé par Belinda Cannone et Christian Doumet, éd. Thierry Marchaisse, parution novembre 2017).
Le Dictionnaire des mots en trop :
Comment ? s?entend-on déjà reprocher, des mots en trop ? Mais les mots, on en manquerait plutôt.
Et pourtant. Ame, artiste, coach, communauté? ils sont légion ceux qui éveillent notre résistance intime à tout ce qu?ils charrient d?affects, d?idéologie, de pseudo-concepts ? notre résistance mais pas celle du voisin !
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Quarante-quatre écrivains explorent ici les raisons pour lesquelles ils renâclent devant certains mots, et leurs réflexions critiques témoignent autant d?un état de la langue que des poétiques et des enjeux de notre temps.
Une expérience littéraire qui vient compléter, en l?inversant, celle du Dictionnaire des mots manquants.
Auteurs : Malek Abbou, Jacques Abeille, Mohamed Aïssaoui, Jacques Ancet, Marie-Louise Audiberti, Michèle Audin, Olivier Barbarant, Marcel Bénabou, Jean Blot, Jean-Claude Bologne, François Bordes, Lucile Bordes, Mathieu Brosseau, Belinda Cannone, Béatrice Commengé, Thibault Ulysse Comte, Seyhmus Dagtekin, Louis-Philippe Dalembert, Remi David, Erwan Desplanques, Jean-Philippe Domecq, Christian Doumet, Renaud Ego, Eric Faye, Caryl Férey, Michaël Ferrier, Philippe Garnier, Simonetta Greggio, Cécile Guilbert, Hubert Haddad, Isabelle Jarry, Cécile Ladjali, , Marie-Hélène Lafon, Sylvie Lainé, Frank Lanot, Fabrice Lardreau, Mathieu Larnaudie, Linda Lê, Guy le Gaufey, Jérôme Meizoz, Christine Montalbetti, Christophe Pradeau, Marlène Soreda, Abdourahman A. Waberi.
http://www.editions-marchaisse.fr/catalogue-dictionnaire-des-mots-en-trop
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Je vis de grands champs d'hiver couvert d'oiseaux morts. Leurs ailes raidies traçaient à l'infini d'indéchiffrables sillons.
Ce fut la nuit.
J'étais entré dans la province des jardins statuaires.
Le tas de terre glissait lentement du centre vers la périphérie ; la statue peu à peu surgissait. Il s'agissait cette fois d'une Vénus pudique toute blanche, dont les mains apeurées ne cachaient guère les charmes. Elle était gigantesque. La terre, qui l'avait épousée si étroitement, la quittait comme à regret, et il en restait des paquets nichés en chaque repli du corps. Les orbites, les épaules, les aisselles en étaient garnies, comme des marques irrévérencieuses d'un grand âge négligent.
Il y eut ce silence mûri par les proximités fortes avant que j'entendisse son rire en vol d'alouette matutinale. L'air qui trainait par la cellule était imprécis quand nos yeux s'ouvrirent. S'appuyant sur un coude, elle vint se pencher au-dessus de moi ; elle souriait.
- D'où viens-tu étranger ?
- Du plus lointain ; de toi. Et je tendis la main vers le ciel de son visage ; la sienne berçait mon front.
On a le droit d’avoir de l’imagination si on est sud-américain, si on est irlandais, tchèque. On trouve partout des amateurs d’«Alice au pays des merveilles» ou des «Voyages de Gulliver». Mais l’écrivain français doit être vraisemblable. Tous, même les plus grands, doivent passer par cette contrainte, et il est inadmissible d’y échapper. Je m’insurge contre ça.
- Il est arrivé qu'en se polissant par-dessous, la pierre parvienne d'elle-même à si bien réduire tout ce qui pourrait la rattacher au sol qu'elle s'envole.
- Comment ? m'exclamai-je.
- C'est la vérité pure. La forme nuageuse atteint si bien la perfection qu'elle se confond en elle et que l'on voit soudain s'élever dans les courants ascendants de l'air chaud un nuage de pierre qui va rejoindre les vapeurs célestes.
- Et, ajouta mon guide, lorsque ces nuages parviennent à une certaine hauteur dans le ciel, le gel les fait éclater. Ils choient donc en fragments lumineux que le frottement de leur chute consume et réduit en poudre. Cette pluie très douce tombe, portée par le vent, sur d'autres domaines. Elle se mêle au terreau des plates-bandes comme un levain merveilleux. Les statues, cette saison-là, sont vaporeuses.
En un instant je passai du sentiment d’avoir tout perdu à un chaleureux et vivifiant élan de foi dans le renouvellement incessant de la vie qui exige, contre toute vraisemblance, que ce qui en un moment fut consumé en un autre moment reverdisse dans sa fraîcheur native.
Le temps lui-même n’est peut-être pas autre chose que ce profond et fécond ressac de consomptions et de résurrections dont sont comptables nos fragiles tâtonnements.
A mes pieds s'étendait à perte de vue la houle fixe des brandes noires et impénétrables. Par-delà leur épaisse frange, il me semblait distinguer les cimes les plus hautes d'une forêt, qui se confondaient peut-être à mes yeux avec celles d'un domaine, au-delà de toute cette sauvagerie, isolé, perdu. Et tout cela, dans la lumière rousse du soir, tout clinquant de l'égouttement parcimonieux, de rameau à rameau, des dernières gouttes de pluie que retenait encore le rare feuillage. J'étais dans ces dispositions exceptionnelles où, faisant face à la paix du monde, on se sent le cœur prix aux couleurs de la joie.
Ne t'est-il jamais arrivé de découvrir quelque chose de très beau, et, soudain, de souffrir très fort, et si vite que tu t'en aperçois à peine, parce que ce fragment de beauté que tu contemples, tu devrais le partager avec quelqu'un et qu'il n'y a que l'absence ?
"Vous ne lisez plus ?" demanda la marchande en le scrutant.
Il sursauta comme si elle l'avait pris en défaut.
"Ne craignez point, poursuivit-elle, que je prenne ombrage de votre rêverie. Il n'y a pas de meilleurs lecteurs que les rêveurs.
- Ils sont inattentifs, pourtant.
- Que non point ; mon métier m'a accoutumée à les reconnaître ; eux seuls savent faire fleurir comme il convient les virtualités de l'écrit. Ce qui est écrit à besoin d'être déplié et c'est tout un art que de donner leurs aises aux mots ; aux lieu de faire effet, il faut s'abandonner, vous comprenez ?
Changer de vie, changer la vie ? - Alain Miquel
Il y a tant de livres, neufs, soldés, d'occasion, tant de vies possibles dont il s'agit de guérir. Il reste toujours un livre de papier essentiel à découvrir et à tenir entre les mains. Il y a tant d'inconnu dans une vie et dans un livre à déchiffrer qu'il reste toujours une énigme sur laquelle délicieusement buter. (p. 141)