Hélène Collon, c'est LA traductrice de Philippe K.Dick, qui vient d'achever la nouvelle traduction d'Ubik paru aux Éditions J'ai Lu dans la collection « Nouveaux Millénaires ».
Hélène Collon est avant tout une grande lectrice qui porte haut les couleurs de la science-fiction avec l'imagination comme horizon.Embarquement immédiat pour un cours magistral de SF !
NB :
Hélène Collon a reçu le grand prix de l'imaginaire de la meilleure traduction en 1994 pour
L'Homme des jeux de
Iain Banks.Elle a également été lectrice à de nombreuses reprises pour le Centre national du livre, qui se fie à son regard acéré.
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Alors le jeu est truqué. Qu'es-ce qui ne l'est pas ? Le triomphe de l'intellect. La démonstration du talent. La sensibilité humaine.
Enfin, vous pouvez leur parler des callosités qui se forment sans ampoules, ce genre de choses. Ce n’est pas cela qui compte, bien entendu. Mais une chose aussi sommaire que la réorganisation de vos organes génitaux provoquerait une véritable révolution s’ils venaient à l’apprendre.
« Vraiment ? » fit Gurgeh.
Cette cinglée a eu de la chance de s’en tirer avec une expulsion ; si elle avait été d’ici, ils lui auraient collé des sangsues corrosives dans tous les orifices avant que la porte de la prison ne se referme sur elle. Rien que d’y penser, je ne peux pas m’empêcher de serrer les jambes.
"Oui" dit le jeune homme. " Ca doit être une drôle d'expérience,
croire que vous êtes sur le point de mourir."
" Pas l'expérience la plus agréable" convint l'Ethnarque, passant d'abord une jambe, puis l'autre, dans son pantalon.
"Mais quel soulagement, quand on recoit un sursis."
"Mmmh" L'Ethnarque produisit un petit rire.
"Un peu comme être arrêté dans un village et croire qu'on va vous fusiller..." s'étonna le jeune homme, faisant face à l'Ethnarque " ... et s'entendre dire que rien de pire qu'un déménagement n'est prévu." Il sourit. L'Ethnarque hésitait.
"Relocalisation par train" dit l'homme, en sortant un petit pistolet noir de sa poche. "Un train qui contient votre famille, votre rue, votre village..."
Le jeune homme ajusta quelque chose sur le petit pistolet.
"...Et qui à la fin,ne contient que des fumées diesel, et plein de morts." Il fit un petit sourire jaune. " Qu'est-ce que vous en pensez, Ethnarque Kerian? Quelque chose dans ce genre ?"
L'Ethnarque ne bougeait plus, fixant les yeux grands ouverts le petit pistolet noir.
"Les gentils s'appellent La Culture," expliqua le jeune homme,"et j'ai toujours cru qu'ils étaient trop mous." Il allongea le bras qui tenait le pistolet. "Je ne travaille plus pour eux. Je me suis mis à mon compte."
L'Ethnarque regardait, muet, les yeux noirs et vieux au-dessus du canon du pistolet noir.
"Je m'appelle", dit l'homme, "Cheradanine Zakalwe". Il aligna le pistolet sur le nez de l'Ethnarque. "Vous, vous êtes mort."
Il fit feu.
(pp.37-38)
"Vous ne gagnerez pas" lança la femme en postillonnant."Vous ne pouvez pas gagner contre nous." Elle agita la petite chaise.
"Quoi?" fit-il, s'éveillant de sa rêverie.
"Nous gagnerons" dit-elle, secouant la chaise si violemment que les barreaux grattaient le sol de pierre.
Pourquoi est-ce que j'ai attaché cette idiote sur une chaise, pensa-t-il.
"Vous avez peut-être bien raison" fit-il, fatigué."Les choses n'ont pas l'air brillantes, pour le moment. Ca vous fait sentir mieux?"
"Tu vas mourir" lança la femme, le fixant du regard.
"Aucun doute là-dessus" fut son commentaire, en regardant le plafond qui avait une fuite d'eau.
"Nous sommes invincibles. Nous n'abandonnerons jamais."
"Oh, mais on vous a vaincu deux ou trois fois par le passé...". Il soupira, se souvenant de l'histoire de cet endroit.
"Nous avons été trahis! " cria la femme. "Nos armées n'ont jamais été vaincues; nous..."
"Poignardés dans le dos, je sais."
"Oui ! Mais notre esprit ne mourra jamais ! Nous..."
"Oh, la ferme !" (...) "J'ai déjà entendu ces conneries. 'On nous a volé'.'Les politiciens nous ont abandonné.' 'Les médias étaient contre nous.' Merde."
(...) "Et je ne crois pas que Dieu soit de votre côté."
"Hérétique !"
"Merci."
"J'espère que tes enfants mourront. Lentement."
"Merde, ils doivent vous laver le cerveau jeune; c'est une chose horrible à dire, surtout pour une femme."
"Nos femmes sont plus viriles que vos hommes !"
" Et pourtant vous vous reproduisez. Je suppose que le choix est limité."
" Que tes enfants souffrent atrocement et meurent !" hurla-t-elle.
"Si c'est vraiment ce que vous pensez, je ne peux rien vous souhaiter de pire que d'être la conne que vous êtes."
"Barbare! Infidèle!"
" Vous allez tomber à court d'insultes. Je suggère d'en garder un peu pour plus tard. Enfin, garder des réserves n'a jamais été votre point fort, hein? "
"Nous vous écraserons !"
(P.154-155)
Le téléphone sonna.
"Allo?"
"Monsieur...Staberinde?"
"Oui."
"Ah, oui, bonjour. Mon nom est Kiaplor, de ..."
"Ah, les avocats."
"Oui.Merci de votre message. J'ai ici un telex confirmant la mise à votre disposition de tous les revenus et actifs de la Fondation Vanguard."
"Je sais. Etes-vous satisfait, mr.Kiaplor?"
"Mmmh...Je...oui... le telex est très clair...même si le degré d'autonomie conféré est sans précédent, pour un compte de cette taille. Non que la Fondation Vanguard ait jamais été conventionnelle."
"Bien. D'abord, j'aimerais disposer de fonds suffisants pour couvrir la location de deux étages de l'Excelsior, immédiatement. Ensuite, je voudrais acheter deux ou trois choses."
"Ah...oui. Des choses de quel genre?"
Il s'épongea les lèvres avec une serviette. "Et bien, pour commencer, une rue."
"Une rue?"
"Oui.Rien de trop ostentatoire, et elle ne doit pas être très longue, mais je veux une rue complète, près du centre ville. Pensez-vous pouvoir m'en chercher une, immédiatement ?"
"Euh...Oui...Nous pouvons certainement commencer les recherches..."
"Bien. Je passerai vous voir dans deux heures; j'aimerais être en mesure de prendre une décision à ce moment."
"Deux...? Euh, et bien...ah..."
""L'urgence, monsieur Kiaplor, est vitale. Mettez-y vos meilleurs juristes."
"Bien. Très bien."
(P.174)
Sma fronca les sourcils en fixant le visage de la femme."Quoi? Alors..."
Retournes, retournes-y. Qu'est-ce que je devais faire? Retournes-y.
Il s'agit de gagner. Retournes-y. Tout doit céder devant cette vérité.
"Cheradanine Zakalwe, mon frère" dit Livuetta Zakalwe " est mort il y a près de deux cents ans. Il est mort peu après avoir reçu les ossements de notre soeur, façonnés dans la forme d'une chaise."
(P.394)
Les lois n’existent que par le plaisir que nous prenons à commettre ce qu’elles interdisent.
On avait alors torturé l’homme d’une manière à la fois sauvage et routinière
« Non, la vie n’est pas juste. Pas intrinsèquement. » (…)
« Mais on peut s’efforcer de la rendre juste, reprit Gurgeh. C’est un but qu’on peut se fixer. On peut choisir de tendre vers lui, ou bien s’en détourner. Nous avons opté pour la première solution. Je regrette que vous nous trouviez si répugnants pour cela.
« Le mot ’’répugnant’’ est faible pour décrire ce que je ressens à l’égard de votre précieuse Culture, Gurgeh. Je ne suis même pas sûr de disposer des termes adéquats pour vous dire ce que j’en pense, de cette… Culture. Vous ne connaissez ni la gloire, ni la fierté, ni la notion de culte. Vous détenez un certain pouvoir, je l’ai constaté. Je sais ce dont vous êtes capables… Mais vous n’en restez pas moins des impuissants. Et vous le serez toujours. Les êtres humbles, pitoyables, apeurés, lâches… ceux-là ne durent pas éternellement, aussi terribles et imposantes que soient les machines à l’intérieur desquelles ils rampent. Un jour viendra où vous vous effondrerez ; et ce n’est pas votre batterie d’engins flamboyants qui vous sauvera. Ce sont les forts qui survivent. Voilà ce que nous enseigne la vie, Gurgeh, voilà ce que nous montre le jeu. La lutte pour la suprématie, le combat qui révèle la valeur. » (…)
Que répondre à cet apical ? (…) Que l’intelligence pouvait surpasser la force aveugle de l’évolution et sa tendance à mettre l’accent sur la mutation, la lutte et la mort ? Que la coopération consciente était plus efficace que la compétition sauvage ? Que l’Azad pouvait être tout autre chose qu’un simple combat, si l’on s’en servait pour structurer, communiquer, définir… ? (…)
« Vous n’avez pas gagné, Gurgeh, reprit Nicosar d’une voix basse mais dure, presque un croassement ? Les individus dans votre genre ne gagneront jamais. (…) Vous jouez, mais vous ne comprenez rien à rien, n’est-ce pas? »
'Bon après-midi, monsieur.Comment puis-je vous être utile?'
'J'aimerais vos deux étages supérieurs, s'il vous plait.'
L'employé de la réception eut un regard vide, puis il se pencha en avant.
'Pardon, monsieur?'
'Les deux étages supérieurs de l'hotel; j'aimerais les avoir. ' Zakalwe sourit.
'Je n'ai pas fait de réservation. Désolé.'
'Aaah..' fit l'employé. Il semblait un peu ennuyé en regardant son image
dans les verres sombres de Zakalwe. ' Les deux...?'
'Ni une chambre, ni une suite, ni un étage mais deux étages, et pas n'importe lesquels mais les deux étages supérieurs. Si certaines chambres sont occupées, je suggère que vous proposiez poliment aux occupants d'accepter une chambre à un autre étage; je paierai leurs notes.'
'Je vois...' fit le réceptionniste. Il ne semblait pas avoir décidé s'il fallait prendre Zakalwe au sérieux. 'Et... pour quelle durée monsieur souhaite-t-il occuper ces étages?'
'Indéfiniment. Je payerai un mois d'avance.Mes avocats auront transféré le montant d'ici à demain midi. Il ouvrit sa valise et sortit un paquet de billets, qu'il placa sur le bureau de la réception. 'Je payerai une nuit cash, si vous voulez.'
'je vois', fit l'employé, les yeux fixés sur l'argent." Et bien si monsieur voulait bien remplir ce formulaire...'
'Merci. J'aimerais aussi un ascenseur pour mon usage exclusif, et acces au toit. Je pense qu'une clef serait la meilleure solution.'
'Aah.Effectivement. Je vois. Excusez-moi un moment, monsieur.' L'employé alla voir son chef.
Il négocia une remise pour les deux étages, puis accepta de payer une indemnité pour l'ascenseur et l'accès au toit, qui ramena le total à la somme initiale. Il aimait marchander.
'Et le nom de monsieur?'
' Je m'appelle Staberinde'.
(pp.167-168)
Mieux je réussis et plus ma situation empire, puisque j'ai d'autant plus à perdre.
Pourtant, on a passé des moments formidables !
On s’est saoulés, drogués, on s’est… enfin, l’un de nous deux s’est envoyé en
l’air, et vous, vous n’en êtes pas passé loin… On s’est bagarrés et on a
gagné, nom de nom ! Et là-dessus, on a réussi à s’enfuir… Bordel de
merde, mais qu’est-ce qu’il vous faut de plus ?