« Ce qui m'intéressait dans la gémellité, c'était ce rapport de dépendance entre les deux frères, cette idée qu'on est toujours là pour l'autre. Benoît a besoin de Xavier parce qu'il est porteur de troubles autistiques, et depuis l'enfance, Xavier est celui qui le pousse vers le monde. C'est vraiment le point de départ du roman. Et puis après, il y a ce personnage de la mère disparue avec, pour chacun des deux frères, la question de ce qu'elle leur a transmis. »
Guillaume le Touze
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**Moi en plus beau** de Guillaume le Touze
Un archéologue ferroviaire marche dans la nature sur les traces de lignes disparues, de ces voies de chemin de fer arrachées par souci de rentabilité mais dont les empreintes révèlent la présence de communautés humaines depuis dispersées.
Un frère au regard d'une acuité très particulière, une amie qui recherche les écrivains reconnus qui soudain n'écrivent plus, une mère magnifiquement réinventée. Tels sont les points de départ de ce livre aux contours d'enquête située dans les parages de ces endroits lointains, de ces ruines blotties dans les forêts, imaginaires ou bien réelles.
https://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature/moi-en-plus-beau
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#rentréelittéraire #rl2022
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Elle avait ce qu'on appelle un visage ingrat, une trace plus foncée sur sa peau partait de dessous sa tempe pour rejoindre la commissure de la lèvre en dessinant une sorte de grand oeil fermé, mais dès qu'elle souriait ou qu'elle riait, elle devenait la plus belle des petites filles. En la regardant, on avait le sentiment que la terre avait tremblé et qu'elle était la seule à avoir survécu au séisme.
(pages 138-139)
- J'ai mal, j'ai mal ...
-C'est ce que m'a dit l'infirmière. Elle m'a dit qu'on avait mal, oui. Elle va lui faire une piqure au papi, comme ça, il n'aura plus mal, hein ? Voilà, je repasserai demain.
J'ai envie de lui claquer la gueule à ce con. Mais je prends seulement la main de Maurice comme on ferait avec un mourant parce que aujourd'hui c'est la seule façon de lui dire que je suis là.
Il est des lieux qui imposent d'emblée, par leur magnétisme, une forme de narration. (...)
On n'a déjà plus l'âge de croire aux miracles, on sait que rien ne dure, ni la félicité, ni le mal-être, pour peu que l'on soit capable de regarder la vie en face. On ne cherche pas à être sauvé, simplement lavé d'une tristesse ou d'un engourdissement passagers. Ou bien, si la souffrance est nettement identifiée, on vient seulement chercher un peu de force pour repartir vers la vie ordinaire avec le courage d'affronter ce qui doit l'être. (p. 63)
Car, elle l’avait constaté, les écrivains eux-mêmes commençaient à se demander s’il fallait continuer de couper des arbres pour diffuser leur prose. La tentation de la modernité avait été grande et on avait inventé de nouvelles machines. Afin de préserver nos forêts, on avait durablement installé dans la dépendance des pays pauvres dont on pillait les sols pour en extraire des minéraux précieux indispensables aux composants électroniques des machines à lire.
Pour vider leurs étagères et gagner de la place, les pays occidentaux avaient créé des centres de données qui consommaient de l’énergie et contribuaient largement à l’élévation de la température de la planète. Des stocks immobiles de papier imprimé remplissaient les entrepôts du monde occidental et certains commençaient à se demander s’il n’était pas vain de continuer à abonder cette pyramide de verbe immobile. La volonté d’imprimer massivement ce que le lecteur attendait était peut-être un mirage.
Leurs études de marché ne pourraient jamais totalement régenter le monde de la création, lieu de la surprise par excellence où surgit ce qui est singulier et qui devient, de fait, indispensable.
Il est grand, il est beau et c'est mon père.
Ce matin, dans la chambre, j'ai trouvé une pile de livres, sûrement des ouvrages qu'il a imprimés et reliés ici, dans le vieil atelier qu'il a remis en état en arrivant. J'ai pleuré en serrant sous mes doigts le creux qu'avaient laissé les caractères de plomb sur le papier bouffant. Cette typographie, cette reliure pleine toile, c'était l'oeuvre de mon père. J'avais enfin des raisons de l'admirer, mais pas comme un fils, il est trop tard pour ça. C'est en sentant mes côtes saillir sous mes doigts maigres que j'ai compris en quoi mon affection pour lui était celle d'une mère. Il s'est reconstruit de fond en comble, ces dernières années, au rythme de ma décomposition. Au fur et à mesure que mon père grandit, mes forces m'abandonnent. Nous avons réussi l'inversion parfaite.
De longues heures passées derrière son père à l'atelier, scrutant ses gestes, s'imprégnant de sa méticulosité et de sa lenteur, Antoine retint que les creux et les zones d'ombre racontent davantage les êtres vivants que les discours construits. (p. 45)
Dès qu'il entend le mot "secret", Basou dresse l'oreille. Il a toujours adoré savoir ce qu'on ne veut pas lui dire. Parfois, à la maison, si papa et maman ont une conversation d'adultes, il sort de la pièce pour les mettre à l'aise. Quand ils se croient seuls, Basou revient, pieds nus sur la moquette, pour écouter à la porte. Mamie sait qu'il aime bien prendre l'écouteur du téléphone et elle l'appelle "ma concierge bien-aimée".
Benoît avance jusqu’au bord du surplomb pour toucher le tronc d’un saule. Il écarta les doigts, cherchant la matière de l’arbre, sa paume caressant l’écorce, puis ses bras enserrèrent la colonne végétale pour l’attirer à lui. Son corps tout entier épousa la forme cylindrique, la proximité de la levée de terre et du fût permettant à ses pieds de demeurer ancrés dans le sol. Il y avait dans cette étreinte silencieuse quelque chose d’assez candide et pourtant, la charge érotique de l’instant était indéniable. En voyant l’inclinaison de sa tête, Clara comprit que Benoît avait posé une joue contre l’écorce. Elle détourna les yeux, gênée, et pour échapper à cette vision, elle n’eut d’autre choix que de jeter son dévolu sur un tronc accueillant, à bonne distance de Benoît.
Marianne sait que les gestes quotidiens communs à tout le monde l'apaisent. Cette monotonie est peut-être le baume qu'elle est venue chercher. Certains soirs, pourtant, elle donnerait tout pour entendre quelqu'un frapper à sa porte, entrer et la serrer dans ses bras. (p. 29)