Entretien avec Géraldine Barbe à propos de la parution de "Aimer Roger" aux Éditions Léo Scheer
Y a pas longtemps, j'étais dans la maison de Jac, je rêvais, et tout à coup j'ai pensé, la vie est un truc dont il faut fabriquer les bords. La phrase m'est venue soudain comme une évidence, mais après je ne me souvenais plus très bien de ce que je voulais dire. Les bords de la vie, je pense que cela signifie comment on organise notre temps, le travail, l'amour, tout ça ; ces bords-là doivent être résistants, même s'ils sont flexibles, même s'ils ne ressemblent pas vraiment aux bords des autres.
En fait mon chien est un peu comme un psychologue. Je le sais parce que mon père est spécialiste en psychologie et je sais que la psychologie ça fait que des gens parlent à des gens qui ne répondent pas et mon chien c'est exactement ce qu'il fait, je peux donc dire qu'il est fin psychologue.
Ecoute, Lola, tu vois bien que c'est plus possible nous tous ensemble. Tout le monde se fâche, tout le monde en a marre, on a pas de place, tu te fais engueuler tous les matins à cause de la salle de bains, t'es nulle en anglais, je suis nul en espagnol, Papa est de mauvaise humeur, Maman est tout le temps stressée et moi je suis malheureux.
Moi, je me sens débile avec ma famille où y'a rien d'autre à raconter que ma mère qui va fêter ses 40 ans et ma soeur qui a perdu son rouge à lèvres préféré et c'est la crise.
J'ai pris que moi aussi, comme le vilain petit canard, j'ai un canard en moi, plus petit que moi mais qui va grandir donc en réalité plus grand, même s'il ne se montre pas encore. J'ai compris que ce deuxième canard presque invisible était mon moi de grande comme je l'imaginais en rêves (celui qui va dans la maison de Jac) et moi aussi, comme le vilain petit canard, j'allais réussir à rassembler les deux canards, le grand qui a l'air vrai et qui est moi maintenant et le petit qui a l'air faut et qui est le moi rêvé de quand je serai grande.
Bon voilà, c'est grillé. Pas de Mamie, pas de Lola, je vais devoir gérer le problème tout seul, comme d'hab. Convaincre les parents que même s'ils s'aiment, ils sont pas faits pour vivre ensemble et qu'on n'a pas le droit de se gâcher la vie juste pour préserver l'équilibre des enfants. Surtout quand ils sont nuls en espagnol.
Ils pensent qu'ils comprennent tout parce que eux aussi ont été petits soi-disant, mais il est évident qu'en vrai, ils ne comprennent rien de rien. Ou peut-être ont-ils tout oublié.
Après ça, l'anniversaire, c'était comme tous les anniversaires, des gâteaux, des cadeaux, des jeux organisés par la mère, une dispute et s'en va.
Oh et puis merde charmante, légère, désinvolte ou affairée, pressée, mystérieuse ou lascive, le tout est d'être séduisante malgré soi, la tête ailleurs. La tête ailleurs, tout est là. C'est un peu là que le bat blesse. Gilda ne sait pas où donner de la tête, non parce qu'elle est débordée ou plutôt si, parce qu'elle est débordée précisément, par l'homme. En sa présence, elle s'embrouille. Débordée, cool, sympa, mystérieuse, sombre, enjouée, froide, rieuse, pressée, lointaine, champêtre, ongles faits, pas d'ongles, rouge à lèvres, cheveux en pétard, baskets, talons hauts, chaudasse décomplexée, glaxiale impénétrable, Gilda oscille et Gilda transpire (au propre). (...) En vérité, être soi-même le matin entre 8h15 et 8h30 un enfant à la main et un cartable dans l'autre devant un homme à séduire se révèle un terrible pour ne pas dire insurmontable défi.
Donc j'ai raison, les adultes ont du caca de moineau devant les yeux, passez-moi l'expression. Ils ne VEULENT pas voir la réalité. Ils s'enferment dans l'idée que leur vie est parfaite et qu'il n'y a rien à changer.