Nous défendons l'idée que l'une des anomalies fondamentales de notre société réside dans la recherche perpétuelle d'intensité.
Le silence est le signe d'une relation profonde, qu'elle soit d'amitié ou d'amour.
L'ennui fécond et le retour sur soi peuvent engendrer des questionnements parfois douloureux - autre raison pour laquelle nous le fuyons dans l'agitation.
Notre époque nous demande incessamment de choisir, ce qui est anxiogène. Si la possibilité de faire des choix est une chance pour notre autonomie et notre développement personnel, la quantité d’occasions de choisir et le nombre de choix ouverts constituent des sources d’anxiété. Toujours, le doute nous taraude de savoir si nous ne nous sommes pas trompés et si une autre décision n’aurait pas été meilleure.
La plupart des études réalisées portent sur des choix que nous pouvons faire entre différents biens de consommation ou de loisirs. Or la théorie de l’excès de choix reste une hypothèse intéressante à tester dans d’autres domaines de la vie, où les enjeux sont plus grands : domaine professionnel, domaine amoureux, lieux de résidence, engagements associatifs et politiques, et ainsi de suite. Dans ces domaines, les choix génèrent probablement beaucoup de stress, d’hésitations entre les options possibles, de regrets inutiles face aux options écartées et d’insatisfaction lorsque nous constatons ou imaginons qu’un autre choix nous aurait apporté davantage de plaisir ou de bonheur.
Notre société semble favoriser avant tout l'intensité, au détriment parfois des autres dimensions de l'expérience, comme l'aisance ou le sens. Or ces autres dimensions sont plus à même de favoriser des états de calme que la dimension de l'intensité.
Il est agréable, parfois, de se retrouver dans une rue grouillante d’activités. De sentir la vie autour de soi, d’être attiré par mille couleurs, de se perdre dans l’effervescence et le mouvement de la foule. Il est excitant de temps à autre de sortir en boîte de nuit et d’y entendre de la musique à plein volume. Il peut même être agréable de fonctionner par moments dans l’urgence. Qui n’a pas jamais ressenti un pic d’adrénaline euphorisant en courant d’une activité à l’autre, en ressentant ce petit plaisir diffus de maîtrise et de compétence ? Il existe, après tout, un risque à trop rechercher le calme : celui d’affadir l’existence, de la rendre terne et insipide.
Bien qu’il n’existe pas de consensus sur sa définition, celui-ci est souvent entendu comme l’expérience aversive conduisant à vouloir s’engager dans une activité qui apporterait davantage de satisfaction ou se trouver dans une situation plus agréable que celle que l’on vit, sans que cela soit possible (Eastwood et al., 2012). La recherche confirme également qu’il existe plusieurs types d’ennui (Goetz et al., 2014). De manière intéressante, l’ennui est pour certains chercheurs une émotion associée à un bas niveau de tension (activation) intérieure, alors que, pour d’autres, il est lié à un haut niveau de tension intérieure.
La technologie moderne nous donne peut-être davantage d’occasions que par le passé de le tromper. Une étude portant sur plus de 3 500 Américains révèle qu’une des raisons les plus fréquemment invoquées par les participants pour consulter leur téléphone portable (68 %) est l’ennui (Gazzaley, Rosen, 2016). Une autre étude, plus ancienne, portant sur plus de 1 300 Britanniques avait déjà démontré que 52 % des personnes interrogées préféraient utiliser leur téléphone portable plutôt que de se laisser aller à penser ou à rêvasser (Barbaley, 1999). Ainsi avons-nous peut-être perdu l’habitude de nous ennuyer.
Un cerveau chroniquement stressé tend peu à peu à s'affaiblir sur le plan cognitif et à percevoir davantage de danger autour de lui, interprétant plus spontanément des stimuli neutres comme des menaces.