L'absence de témoins était devenue banale, songea Nico. Les gens d'aujourd'hui se préoccupent peu de leur environnement, accaparés par leur travail, leur famille, leurs horaires de programme télé. Les choses avaient bien changé en vingt ans. Le vingt et unième siècle allait-il être celui de l'indifférence abandonnant aux criminels une plus grande marge de manœuvre ?
Le capitaine Rivera considérait la ville depuis une fenêtre du onzième étage. Une jungle urbaine. Un concentré de violence, une mosaïque de couleurs et de religions, un cocktail de luxe et de crasse. Une bombe à retardement. Un miracle si elle n’explosait pas. « New-York de boue, New-York de fil de fer et de mort. Quel ange portes-tu caché dans ta joue ? » avait écrit son poète fétiche, Federico Garcia Lorca dont il partageait les origines hispaniques.
Le juge Becker garda le silence. Un sale type ne faisait pas forcément un meurtrier.
Comme à chaque fois, toute émotion l'avait quitté. Il était comme un esprit libre qui volait à travers la pièce. Il détestait cette impression, ce pouvoir qu'il avait de se concentrer même dans les cas les plus morbides.
Le poème rédigé en polonais constituait un mystère, ou juste de quoi faire perdre son temps à la police. C’était aussi une manière de retenir l’attention, un procédé qui étayait le diagnostic du délire. Enfin, la façon d’écrire n’était jamais innocente. L’inconnu, homme ou femme, avait utilisé de l’encre rouge, formé de hautes lettres qui rappelaient ces temps anciens où l’exercice était comparable à un art. Difficile tout de même d’établir un profil psychologique fiable à partir d’un simple courrier. Ou c’était témoigner, à son tour, de mégalomanie !
- Les Irlandais, ça me hérisse le poil ! Des générations de flics pourris.
- T'as raison. Même que mon père en était ! Moi, je suis dans l'autre camp, c'est plus clair comme ça.
Tuer quelqu'un à son domicile sans attirer l'attention, prendre le temps de nettoyer les lieux et partir comme si de rien n'était, nécessite une grande maîtrise.
Manger léger, éviter l'alcool et le tabac, pratiquer une activité sportive constituaient les règles de leur vie quotidienne. Heureuses, elles l'étaient à coup sûr ; réussite sociale et maris attentifs leur assuraient un bonheur parfait et aseptisé. D'humeur joyeuse, leurs conversations se terminaient souvent en éclats de rire. Rien ni personne n'aurait pu ébranler leur assurance et les faire douter de leur apparence.
Voilà ce que Nico appréciait chez les femmes, ce don qu’elles avaient d’être attentives à leur entourage familial ou professionnel. Et puis, les statistiques démontraient qu’elles tuaient beaucoup moins que les hommes : la population féminine représentait dix à treize pour cent des criminels dans le monde. Sans testostérone, moins de pulsions sexuelles et de viols.
La mort ne suffit pas au tueur en série... Ce type d'individu cherche un moyen original de provoquer la souffrance avec une imagination qui ne viendrait à l'esprit de personne d'autre. Sa proie n'est qu'un objet. Il n'éprouve aucune pitié mais ressent un besoin impérieux de la mutiler. Lui amputer les seins, c'est la déshumaniser encore davantage.