Entretien avec François Dupeyron .
Entretien avec François Dupeyron à propos de la parution du livre "Chacun pour soi, Dieu s?en fout", Éditions Léo ScheerPlus d'information : http://www.leoscheer.com/spip.php?article2008
Ce qui est terrible dans la chute d'un homme, c'est qu'il ne sait jamais quand il s'arrêtera de tomber, il s'accroche, il espère, il respire un peu et voilà que ça recommence, une fois, deux, sans fin... il en prend l'habitude, il se dit que c'est ça sa vie, il croit se battre alors qu'il tombe... il ne sait plus qu'il tombe, c'est le propre de la chute.
La mort ne voulait pas d'eux ce jour-là, elle s'était contentée de leur voler un morceau d'innocence, c'est précieux l'innocence, il en faut quelques bons kilos pour oublier toutes les vacheries qui nous attendent.
Il y a une toile qui l'attend sur son chevalet, chaque jour il passe devant, s'il a un peu de courage, il s'assoit, il la regarde... mais ça reste tout vide à l'intérieur, il n'a plus de muscle, plus cette faim qui fait peindre... il l'a eue, il la connaît si bien, c'est elle qui ne vient plus.
On ne mesure jamais jusqu'où on s'expose, se met en danger, tous ceux qui s'arrachent livrent leur kilo de chair aux chiens et aux autres... À chaque exposition, Courbet retraversait le même mur, il le savait... il y a l'homme d'avant et l'homme d'après... il semblerait qu'une chimie s'opère. C'est l'émotion bien sûr de voir ses toiles pendues au mur, c'est surtout le regard des autres qui brutalement n'est plus le même. Tout vient de là, le peintre comme l'enfant qui vient au monde en dépendent corps et âme de cette lorgnette !
Courbet avait surpris son regard, c'était son père... Il avait un père ! qui venait s'occuper de son enfant, un père qui l'aimait. (...) ça ne le rendait pas plus fort, ça ne lui donnait aucun courage, ça l'apaisait... c'était comme une caresse, un morceau de chaud autour duquel il s'enroulerait la nuit.
Courbet ne s'était pas trompé, la musique allait bien avec sa peinture, c'était une autre main qui caressait l'âme.
En six mois, Nanar a prit un coup de vieux. On le voit à des riens, c'est le corps, c'est lui le traître qui dit l'heure, l'horloge terrible.
( p 250)
Je suis en train de couler et tout le monde s'en fout...même ici, quand je passe on regarde ailleurs. Bonjour le courage! chacun pour soi et Dieu s'en fout. Ce matin, je suis allée voir l'assistante sociale, évidemment elle ne peut rien faire..et moi, qu'est ce que je peux?
( p 126)
Une mère qui meurt fait revenir l'enfant qu'on a été avec elle, on se souvient, on le reste toujours cet enfant derrière la carapace, tout le temps qu'elle vit... mais qu'elle parte et l'enfant la suivra.
Dire qu'un pays va mal quand on est à boire une coupe de champagne dans une soirée mondaine, c'est même pas se raconter une histoire triste, on n'a même pas à tourner la page, il n'y en a pas, c'est rien qu'abstrait, on n'y verra jamais personne fondre en larmes... On n'y croit pas, c'est tout ! On jabote, on dindonne, déconne...On boit une gorgée.