"La part des cendres" - Emmanuelle Favier
D’une voix forte, elle profère les paroles rituelles, jure par la pierre et par la croix de rester vierge, de ne jamais contracter d’union ni fonder de famille. Elle regarde vers le bas, évitant les yeux ourlés de mauve de celui qu’elle fuit par le pouvoir des mots prononcés.
" Être femme est une infirmité naturelle
Dont tout le monde s'accommode.
Être homme est une illusion et une violence
Que tout justifie et privilégie.
Être est tout simplement un défi ."
Elle songe à ce qu’est le temps présent, au fait que tout procède d’une brume, expire en un halo, au fait que les êtres meurent de vivre sans y songer. Elle songe qu’il y a partout des histoires et qu’il est impossible et vain de les raconter. Elle songe à l’eau qui peut mettre trois semaines à digérer un corps."
Etre femme est une infirmité naturelle dont tout le monde s'accommode. Etre homme est une illusion de violence que tout justifie et privilégie. Etre tout simplement est un défi.
Elle fit quelques pas hésitants, scrutant le paysage vierge dont les contours s'affinaient peu à peu. La couche uniforme se piquetait de taches rouges, les baies des buissons de grenadiers fouissaient la neige de leurs minuscules têtes laquées.
Elle désigna les longues tiges des asphodèles, gradinées de fleurs blanches dont les étamines brandissaient leurs rousseurs vers les deux amantes.
Le monde qu'elle avait toujours connu était transfiguré, les impressions exacerbées. Tout était plus beau ou plus laid, ce qu'elle n'avait jusqu'alors jamais remarqué s'imposait à elle, que ce soit la splendeur d'une lumière d'hiver sur le couchant des montagnes ou la désolation sordide de la plupart des maisons qui l'entouraient. Un rien l'émouvait des paysages familiers qu'elle croyait à présent découvrir : levant la tête elle constatait des ciels de peintre, qu'elle observait longtemps se défaire entre les cimes et retomber au faîte des sapins en traînes dorées ou bleues; ou bien c'était la virtuosité d'un flocon de neige qui, tout à coup, lui livrait des finesses jusqu'alors ignorées.
Le monde qu'elle avait toujours connu était transfiguré, les impressions exacerbées. Tout était plus beau ou plus laid, ce qu'elle n'avait jusqu'alors jamais remarqué s'imposait à elle, que ce soit la splendeur d'une lumière d'hiver sur le couchant des montagnes ou la désolation sordide de la plupart des maisons qui l'entouraient. Un rien l'émouvait des paysages familiers qu'elle croyait à présent découvrir : levant la tête elle constatait des ciels de peintre, qu'elle observait longtemps se défaire entre les cimes et retomber au faîte des sapins en traînes dorées ou bleues ; ou bien c'était la virtuosité d'un flocon de neige qui, tout à coup, lui livrait des finesses jusqu'alors ignorées.
Elle n'avait pas su venger la mort de sa femme, et dans son esprit les codes se brouillaient, une torturante confusion de devoirs et de craintes l'agitait au point qu'elle avait dû partir, de nouveau, malgré son attachement à la ville où elle avait trouvé une part d'elle-même; de nouveau, il avait fallu marcher de village en village pendant des mois, plus de quinze ans après sa première errance.
La mer brasillait dans le soleil excessif, ses nuances apaisant toute blessure.