Bonsoir, monsieur St. Just, dit-elle avec cette froide ironie qui le hérissait. Il s’inclina de nouveau, la suivit des yeux comme elle s’éloignait. Malgré son mètre cinquante et sa silhouette gracile, elle avait de la présence. Son maintien, son port de tête en imposaient. Elle semblait parfaitement à son aise dans cette salle de bal bondée, sûre d’elle, indifférente à la curiosité malsaine qu’elle suscitait. — Tante Seraphina, pourquoi avez-vous laissé… commença-t-il d’un ton de reproche. — Je l’aime bien, l’interrompit tranquillement la vieille dame. Elle est extrêmement intelligente. — Moi aussi, je l’aime bien, renchérit Grace. Adam, puis-je l’inviter à… — Non, coupa-t-il. Être vue en sa compagnie nuirait à ta réputation. Mlle Knightley n’est pas de notre monde. — Je sais, rétorqua sa sœur. Elle a passé une partie de son enfance dans les bas quartiers, et sa mère était une… une… Grace cherchait un euphémisme, qu’elle ne trouva pas. — Mais moi, je l’aime bien. J’espère que nous deviendrons amies. « Moi vivant, cela ne risque pas d’arriver », décréta-t-il. — Nous partons ? biaisa-t-il. Il est près de minuit et une longue route nous attend demain. Dans le Sussex, au moins, ils n’auraient pas à côtoyer Arabella Knightley. Cette pensée le revigora. — J’ai décidé de rester à Londres, déclara Grace. Adam arqua les sourcils. — Vraiment ? — Oui. C’est ma première saison mondaine, et j’ai décidé d’en profiter.
Sir Thomas Lawrence avait parfaitement saisi la beauté délicate de Lavinia et la douceur de son expression ; cette douceur aussi trompeuse que sa beauté, qui avait conquis le coeur de Marcus au premier regard. A compter de cet instant, il n'avait rêvé que de la chérir et de la protéger.
Mais la douceur de Lavinia n'allait pas plus loin que sa peau satinée fraîche comme une pétale de rose.
Arabella reporta son attention sur les danseurs. Et s’arrêta sur un homme de haute taille, aux traits patriciens. Adam St. Just, cousin du duc de Frew. Il était froid et hautain, comme si c’était lui, le détenteur du titre. Comment avait-elle pu être assez bête pour penser qu’il avait de la sympathie pour elle ? se demanda-t-elle. Cela dit, elle aurait dû lui être reconnaissante. Il lui avait appris à ne jamais faire confiance à un membre de la haute société. Une leçon précieuse, qu’elle n’avait toutefois pas digérée. Impossible, en effet, d’oublier combien le beau monde s’était réjoui de son humiliation.
Les cheveux noirs et les yeux sombres de la jeune femme trahissaient ses origines françaises, mais la fossette qui lui creusait le menton, comme si un doigt minuscule avait laissé là son empreinte, indiquait qu’elle était issue d’une longue lignée de Knightley. Tout en marchant, il étudiait discrètement son visage – les pommettes racées, la bouche tendre. Son pouls s’accéléra. Voilà ce qui l’ennuyait le plus s’agissant d’Arabella Knightley : l’attirance qu’elle exerçait sur lui, et qu’accompagnait invariablement, dès qu’il la voyait, un pincement de culpabilité.
- Peu importent vos origines et votre langage, sergent, déclara-t-il à voix basse. Ce qui compte, c'est l'homme que vous êtes. Vous êtes bien plus respectable que la plupart de ceux que je connais. Vous n'êtes pas déguisé en gentleman, Houghton. Vous êtes un gentleman.
Parfois, la peur qu'inspirait son physique le contrariait. Ce jour-là, elle se révéla utile.